Marina Viotti : « La musique doit continuer à bâtir des ponts »

Xl_marina-viotti © DR

Nous avions interviewé Marina Viotti peu après le premier confinement, en mai 2020, mais sa carrière a explosé en deux ans, et les plus grandes scènes européennes se l’arrachent désormais. A l’occasion de son one-woman show au Lucens Classique Festival (lire notre compte-rendu), nous nous sommes entretenus avec elle au sujet de ses prochaines prises de rôle - qui comprendront notamment La Périchole d'Offenbach à Paris et Alceste de Gluck à Rome -, mais également de son disque consacré à Pauline Viardot qui sortira en septembre, mois qui la verra également à la Une du prestigieux magazine Opera Now

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Opera-Online : On vient d’assister à votre One-Woman show « About last night » au festival de Lucens. Comment est né le projet ? Le reprendrez-vous ?

Marina Viotti : J’avais envie de proposer une espèce de stand-up, sur un mode cabaret, qui me permettrait de faire du crossover : passer de l’opéra au jazz, du Lied à la chanson… tout en racontant une histoire dont je suis l’actrice principale, en prenant le public à parti et en faisant participer le pianiste. J’ai choisi une thématique qui parle à toutes les générations : les soirées trop arrosées, les mariages ratés, les séductions hasardeuses, les déceptions et les espoirs amoureux… ça fonctionne bien parce que ça fait appel à toutes les émotions et c’est un moment de divertissement ! Ce show convient aux petites salles intimistes comme aux plus grandes scènes, mais la proximité avec le public est essentielle. J’espère le reprendre très bientôt…

On vous connaît une passion immodérée pour Pauline Viardot. Pouvez-vous nous en donner les principales raisons ?

Une passion immodérée, je ne sais pas, mais une grande admiration pour cette femme incroyable, oui ! C’est une femme qui n’a pas la renommée qu’elle mérite. Non seulement c’était une des plus grandes mezzos de son temps – de nombreux compositeurs comme Gounod, Berlioz, Saint-Saëns ou Meyerbeer lui ont dédié des premiers rôles –, mais en plus elle était extrêmement douée pour le piano, d’après ce qu’en dit Clara Schumann dans ses lettres, et puis elle composait des opéras et des Lieder, et réunissait dans son salon les plus grands intellectuels et artistes de son temps. Elle était courtisée par tous, et avait chez elle à la fois son mari et son amant russe. Je trouve que ça fait d’elle une personnalité extraordinaire de la vie littéraire et musicale de son temps.

Un disque qui porte son nom et que vous avez enregistré aux côtés de Christophe Rousset et de ses Talens lyriques sortira le mois prochain. Pouvez-vous nous en dévoiler le contenu ? Avez-vous d’autres projets discographiques ?

Nous avons justement souhaité rendre hommage à Pauline Viardot en choisissant à la fois les « tubes » qui l’ont fait connaître, ceux qui ont été composés pour elle, et des œuvres plus rares qu’elle avait interprétées, parfois en les transposant. Le résultat est un véritable grand écart vocal : on passe du soprano au contralto, du grand lyrique à la coloratura, du belcanto à la musique plus française. Un véritable défi pour moi, rendu possible grâce au talent – et aux Talens – de Christophe Rousset, et à son immense justesse d’interprétation. Et oui, il y aura un autre disque qui sortira chez Aparté au printemps prochain, en duo avec le guitariste Gabriel Bianco, et un troisième disque avec Adriana Gonzalez et Iñaki Encina Oyon qui sortira chez Audax record un peu plus tard…

Deux prises de rôles importantes pour vous se profilent à l’horizon : Alceste de Gluck au Teatro dell’Opera de Rome et La Périchole au Théâtre des Champs-Elysées. Comment vous y êtes-vous préparée et que représentent-ils dans votre carrière ?

C’est une année un peu charnière pour moi : deux rôles titres que je débute dans des théâtres où je fais également mes premiers pas. Alceste est un rôle tragique, un registre que je chante beaucoup moins que les comédies de Rossini ou Mozart, ce sera donc très intéressant d’explorer cette autre facette de ma personnalité vocale et artistique. La tessiture est par ailleurs très aiguë, et le rôle très long et difficile. J’ai donc commencé à le travailler très en amont, pour chercher la « place vocale » qui convenait et y trouver un certain confort, même si ce n’est pas encore exactement le cas ! (rires). La Périchole, a contrario, est un rôle beaucoup plus amusant et léger, avec du texte parlé, et une tessiture qui colle parfaitement à ma voix et à mon timbre. C’est là aussi un rôle d’actrice en plus d’un rôle de chanteuse. Je suis impatiente de débuter dans ce théâtre et dans la Capitale, et de pouvoir partager la scène avec des chanteurs qui sont aussi des amis, dans une ambiance de fête ! Je remercie Baptiste Charroing et Michel Franck de m’avoir donnée cette opportunité en dernière minute puisque j’y remplace Marianne Crebassa, initialement prévue…

Vous venez d’être Lauréate du Grand prix suisse de musique 2022. C’est important pour vous cette reconnaissance de votre pays de naissance ?

Je suis franco-suisse mais il est vrai que c’est la Suisse qui m’a donné mes premières opportunités, mes premiers rôles sur une scène d’opéra. Je dois beaucoup à ce pays qui me fait confiance depuis plusieurs années et qui régulièrement m’invite à créer des projets hors normes et me propose des cartes blanches. C’est donc très émouvant pour moi d’être Lauréate d’un tel prix, qui ne récompense pas une carrière mais le message que je véhicule « Music has no borders » : la musique rassemble, et doit continuer à s’ouvrir à d’autres horizons, à bâtir des ponts.

Et vous faites la couverture du prochain numéro d’Opera Now, le plus gros tirage mondial d’un magazine consacré à l’opéra. Qu’est-ce que cela vous fait ?

Honnêtement, c’est pour moi un grand cadeau, et une réelle surprise car je ne m’y attendais absolument pas ! C’est une belle reconnaissance là aussi, et comme je le disais sur mes réseaux sociaux, ça m’a obligée à regarder en arrière et à me dire que dans la vie tout est possible, qu’il faut y croire, se battre jusqu’au bout malgré les obstacles, ne pas écouter les messagers défaitistes qui essaient de vous décourager, mais écouter et suivre sa propre voix/e, et les personnes qui vous aiment et vous soutiennent. La route est longue, on n’est jamais vraiment arrivé, mais ce genre de cadeaux fait du bien, car il permet de se dire qu’on est sur le bon chemin... et qu’il faut continuer !

Propos recueillis en août 2022 par Emmanuel Andrieu

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