Jonas Kaufmann à Erl : joindre le geste à la parole

Xl_jonas-kaufmann-festival-erl © DR

De longue date, le Regietheater divise les amateurs d’opéra : les uns sont plutôt adeptes d’une lecture classique des œuvres, respectant fidèlement la vision des compositeurs ; les autres adhèrent davantage à leur remise au goût du jour par des metteurs en scène proposant des adaptations (parfois radicales) ancrées dans l’époque – le sujet était encore récemment relancé par Emiliano Gonzalez Toro dans une tribune publiée dans les colonnes du journal suisse Le Temps, dans laquelle il accuse notamment le Regietheater de faire fuir le public des maisons d’opéra, là où un certain classicisme plus consensuel se révèlerait plus à même d’attirer les spectateurs.

Comme de nombreux artistes, Jonas Kaufmann a pris position sur la question et le ténor allemand se classe ouvertement parmi « les préservateurs et conservateurs » de l’opéra : la désaffection du public serait le fait de mises en scène d’opéra trop radicales, qui oublieraient que l’art lyrique doit aussi être un divertissement pour le public. Les avis sont partagés et chacun se forgera sa propre opinion, mais manifestement, Jonas Kaufmann entend joindre les actes à la parole, notamment au festival de musique d’Erl qui se tient chaque année dans le Tyrol autrichien et dont il prendra la direction à partir du 1er septembre 2024. À l'occasion d’un récent entretien accordé à France Musique dans le cadre de la promotion de son dernier disque The Sound of Movies consacré aux musiques de films, le ténor précise ses ambitions en tant que futur directeur de festival :

« Je cherche toujours de nouvelles aventures. Et même si mon calendrier est bien rempli, cela fait de nombreuses années que je critique la façon dont nos opéras et nos théâtres sont dirigés. Il y a eu la pandémie, puis la crise, mais mon impression, aujourd’hui, c’est qu’une partie du problème, spécialement au niveau de la billetterie, n’est plus lié au Covid. Il est lié au fait que l’audience – j’exagère peut-être – en a marre des mises en scène où tout doit toujours être renversé, où l’on doit toujours provoquer. Nous vivons dans un monde dans lequel j’assiste à des productions où personne ne considère le divertissement du public. Je pense que c’est une erreur.

J’ai dit aux autres ce qu’ils ne devraient pas faire. Et maintenant, je dois montrer si je suis aussi stupide que tout le monde, ou si je peux changer un peu les choses. Au festival d’Erl, les paysages sont incroyables, les installations sont remarquables. Bien sûr, nous n’avons pas les moyens financiers de dépasser tout le monde. Mais à petite échelle, je peux expérimenter. Voir si diriger un festival est quelque chose que j’adore – je pense que c’est le cas – ou au contraire quelque chose que je ne veux plus jamais faire. Nous verrons. »

On sera sans doute curieux de découvrir la programmation du festival d’Erl sous « l’ère Kaufmann », qui considère que son « défi » en tant que directeur « sera d’amener des gens aux spectacles et qu’ils rentrent chez eux satisfaits », de sorte « que personne ne dise, à l'issue des représentations : "C’était une expérience… intéressante. Plus jamais" ».

Pour autant, si l’opéra traverse manifestement une crise, au moins financière qui conduit à sacrifier des productions dans de nombreuses maisons d’opéra, Jonas Kaufmann rappelle aussi que « l’opéra a toujours survécu ». Et de citer Max Reinhardt qui, il y a déjà un siècle, évoquait la crise des théâtres et son inquiétude quant à une éventuelle disparition. Raison pour laquelle, selon Jonas Kaufmann, « nous devons nous battre, et nous devrons nous battre encore plus, mais nous nous devons aussi de présenter au public quelque chose qui montre l’indiscutable importance de l’opéra, la beauté de notre culture et de notre éducation, qui démontre l’impérieuse nécessité de maintenir ces institutions en vie ».

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