Les défis du chant lyrique selon Jonas Kaufmann

Xl_kauf5 © ROH

À compter du 17 juin prochain, Jonas Kaufmann interprétera le Chevalier Des Grieux dans une nouvelle production de Manon Lescaut donnée au Royal Opera House de Londre. Profitant d’une pause lors des répétitions, dans le cadre d’une édition spéciale de l’émission Music Matters sur les ondes de la BBC, le ténor allemand évoque tour à tour sa vocation d'interprète, les défis de la carrière d'un chanteur ou encore les évolutions récentes de l'opéra tel qu'on le conçoit aujourd'hui. Morceaux choisis.

Jonas Kaufmann : « Il y a deux types de musiciens : ceux entièrement passionnés par absolument tout et qui ne recherchent que l’émotion, et ceux qui n’ont pour but que la perfection et la technique. J’ai personnellement toujours appartenu au groupe des passionnés. Ma famille aimait infiniment la musique, j’ai donc grandi en écoutant de la musique classique tout le temps, et plus particulièrement de la musique riche et puissante – pas seulement celle de Mozart ou Bach, mais une musique très viscérale telle que celle de Mahler, Strauss, Wagner, Bruckner ou Chostakovitch. Des choses extrêmement fortes, bien que n'étant pas des opéras.
J’ai ainsi vécu quelques moments-clés, notamment en assistant à un opéra, au cours desquels j’ai réalisé que je pouvais faire partie de cet univers. C’est encore un pas supplémentaire que d’être accompagné  par un orchestre en étant sur scène, maquillé et costumé de la tête aux pieds, comparé au fait de chanter tout simplement au beau milieu d’un orchestre. »

Selon le ténor, la carrière de chanteur lyrique est un défi, que ce soit dans son apprentissage (laissant évidemment une large place à l'émotion et au ressenti de l'interprète) ou dans sa pratique. Chaque rôle nécessite des années de préparation, qu'un chanteur devra planifier tant au regard de sa carrière que des évolutions de sa voie.

Jonas Kaufmann : « Le difficulté du chant, c’est qu’il est complexe à enseigner comparativement à d'autres arts : avec un instrument par exemple, on peut vous montrer comment bien tenir le violon et l’archet, [avec le chant] votre professeur vous dit juste "Quand tu inspires, c’est comme lorsque tu humes une rose ; et lorsque tu ouvres ta bouche, ce devrait être comme si tu avalais une poire ou une patate chaude". Il y a toutes sortes de petites images un peu folles qu’on vous donne pour vous aider ! Nous n’avons pas de langage commun. »
« Grâce à l’expérience acquise lors de ces cinq ou six dernières années, je peux estimer comment ma voix va changer et savoir comment une partition va sonner », en référence à la préparation qu'il consacre à ses nouveaux rôles et pour lesquels il s’engage souvent plusieurs années à l’avance. « Nous sommes engagés vis-à-vis ce que nous avons planifiés cinq ans auparavant. Vous devez le prévoir de façon cohérente et en adéquation avec votre santé. »

Une rigueur qui contribue sans doute à la renommée du ténor allemand, l’un des plus grands chanteurs lyrique de notre époque. Mais qui s'accompagne aussi nécessairement des contraintes de la célébrité.

« Le moment où plus personne ne vous attend au sortir de la scène est probablement terrible. Je ne veux même pas y penser. Mais vous avez parfois l’impression que certains fans qui ont acheté leur billet, croient qu’ils ont aussi acheté une partie de vous. Ce n’est pas seulement une performance lyrique et scénique ». « Il est difficile d’allier les deux mondes [la vie publique et la vie personnelle].  Néanmoins, cela nous montre la portée de ce que nous faisons tous. » Et de saluer le public de Covent Garden : « Comparé à certains autres lieux, ce sont de très bons auditeurs. Vous pouvez sentir qu’ils sont là. C’est très intense.»

Et si Jonas Kaufmann se classe parmi « les préservateurs et conservateurs d’une forme d’art qui a connu son apogée dans le passé », il considère que l'opéra n'est pas pour autant un art dépassé.

« [L'opéra] fonctionne encore très bien et permet toujours de mettre le doigt sur quelque chose d’intéressant lorsque c’est fait correctement. Je ne suis pas contre le renouvellement des opéras, particulièrement en termes de productions. [...] Le grand opéra est basé sur des sentiments instinctifs qui n’ont jamais changés et restent d'actualité – nous tombons toujours amoureux les uns des autres, nous nous haïssons toujours, et nous avons encore peur de la mort. Si vous donnez sa chance à une œuvre, même vieille de 300 ans, elle aura toujours le même effet sur le public. »

Enfin, Jonas Kaufmann a également donné ses impressions sur la musique écrite lors de la seconde partie du XXème siècle, ses engagements futurs, et les différences avec lesquelles les chanteurs communient avec le public à l’opéra et dans le cadre d’œuvres plus intimes telles que les Lieds.
Cette partie ainsi que l’interview intégrale est disponible en anglais via le lecteur audio ci-dessous.

Jonas Kaufmann est attendu dans Manon Lescaut au Royal Opera House de Londres, du 17 juin au 7 juillet 2014, dans une mise en scène de Jonathan Kent, aux côtés de Christine Opolais et Christopher Maltman, dirigés par Antonio Pappano.
Retransmis en direct dans de nombreux cinémas de France le 24 juin.

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