Des répétitions tout sauf canoniques pour Le Voyage dans la Lune à l'Opéra Comique

Xl_laurent_pelly_et_sarah_kon__-_le_voyage_dans_la_lune_-_op_ra_comique © Stefan Brion

Laurent Pelly n’aura jamais mis autant de temps à préparer une production ! L’Opéra Comique lui a confié les manettes du Voyage dans la Lune d’Offenbach (en coproduction avec l’Opéra national de Grèce), qu’il a commencé à répéter il y a un an et trois mois. Le spectacle devait à l’origine être représenté en avril 2020 salle Favart, mais on connait désormais la ritournelle…


Répétitions Le Voyage dans la Lune, Opéra Comique ; © Stefan Brion

La Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique a bien grandi depuis son éclosion en 2016. Projet social, moyen de se développer personnellement, ouverture des portes lyriques à des non-initiés, nous en parlions il y a deux ans au moment de la dernière édition de « Mon premier festival ». Ce qui a changé, c’est que le directeur de la Salle Favart a distribué la totalité des rôles (sauf celui du roi Vlan, échu à Franck Leguérinel) et les chœurs aux maîtrisiens. Dans l’interview que Laurent Pelly nous a accordée il y a quelques semaines, celui-ci détaillait l’adaptation de l’œuvre pour que les personnages représentés aient le même âge que les jeunes chanteurs (de 8 à 25 ans). Mais parlons plus concrètement des répétitions, car si la vie n’est pas un long fleuve tranquille, un virus qui parcourt le monde aussi exhaustivement que le prince Caprice laisse forcément des traces…

En immersion dans les répétitions

Pas de représentation publique. Ce sera donc une captation pour France Télévisions, diffusée en septembre prochain. Laurent Pelly nous explique qu’ « en général, c’est une répétition et un tournage le lendemain. Là, pour des raisons techniques et sanitaires, la captation va avoir lieu en deux parties : la Terre un jour (en trois parties filmées trois fois chacune), la Lune le lendemain (en cinq parties filmées deux fois) ». Idem pour la générale. « Cela évitera les manipulations compliquées avec beaucoup de monde, et les changements de costumes et de décors entre la Terre et la Lune. Et le fait de pouvoir refaire quelque chose qui n’a pas marché reste appréciable. De toute façon, nous travaillerons dans les conditions du direct ».


Répétitions Le Voyage dans la Lune, Opéra Comique ; © Stefan Brion

Ludmilla Bouakkaz a renfilé son costume blanc de Fantasia et Arthur Roussel, son costume orange de fils du roi terrien, après près de 12 mois sans répétitions. Les deux rôles-titres sont en troisième cycle (professionnalisant) de la Maîtrise et effectuent leurs premiers pas dans une production de cette envergure. La soprano avoue avoir travaillé comme si c’était la première fois qu’elle approchait le personnage, car en un an la voix et l’attitude face au travail se voient modifiées. Elle a revu le texte petit à petit pour se réapproprier le rôle. Soit, mais qu’en est-il du chœur ? Comme l’indique la directrice artistique de la formation chorale, Sarah Koné, « reprendre les répétitions un an après, c’est comme revenir dans une maison de campagne où on aurait changé les meubles de place. Les rôles principaux sont les mêmes, mais l’effectif des chœurs a changé car certaines personnes sont parties de la Maîtrise et d’autres sont arrivées ». Des enfants se retrouvent avec des costumes comme lavés à trop haute température, certains garçons ont mué. Et la COVID a rendu les protocoles un peu différents. « Depuis la reprise des répétitions cette année, nous avons tous été soumis à un protocole sanitaire strict : un test PCR par semaine, puis deux PCR par semaine et un test antigénique quotidien pendant les deux dernières semaines de répétition, permettant de répéter sans masque sur scène lors de la générale ».

Un voyage semé d’embuches

N’oublions pas que les maîtrisiens fréquentent des établissements scolaires... et ce qui devait arriver arriva : « un cluster dans leur établissement scolaire a généré beaucoup de cas contacts. Une cinquantaine d’enfants a été immobilisée pendant une semaine, et nous avons donc dû arrêter les répétitions ». L’équipe artistique a donc été amenée à prendre des décisions difficiles, que Sarah Koné raconte : « nous avons réduit la mort dans l’âme le nombre de choristes sur scène, passant de 90 à 40 », mais après concertation avec les maîtrisiens. « Ils ont décidé de favoriser les élèves de 3e et de Terminale, qui sont en fin de parcours. J’ai ensuite complété les effectifs avec une distribution qui puisse représenter tous les maîtrisiens, des plus jeunes aux plus âgés ». Les chœurs qui ne sont pas sur scène se trouvent au niveau de la corbeille dans la salle Favart. Ces deux groupes distincts ne peuvent pas se croiser au sein de l’Opéra Comique, les lieux de vie sont distincts. Dans le foyer, nous slalomons entre des tables où les jeunes chanteurs (les « salles », donc) déjeunent individuellement le midi.


Le Voyage dans la Lune, Opéra Comique ; © Stefan Brion

Les répétitions se tiennent avec tournée générale obligatoire de masques. Après l’incident des cas contacts, tous les jeunes artistes ont été contraints de répéter avec des modèles FFP2 à la reprise, alors qu’ils avaient pris l’habitude des masques chirurgicaux. « La voix est plus étouffée à la fois pour les chanteurs et pour le public », note Sarah Koné.

Un malheur n’arrivant jamais seul, la cheffe Alexandra Cravero, qui devait diriger l’orchestre Les Frivolités Parisiennes en fosse, a été victime d’un grave accident de la route, l’empêchant de continuer l’aventure. « Alexandra a commencé à travailler avec les solistes. Mathieu Romano est arrivé au moment des répétitions scéniques avec piano, donc finalement le changement de chef n’a pas été trop handicapant pour le chœur. Il a réussi instantanément à entrer dans un univers et dans des habitudes, avec une grâce immense ». Sarah Koné voit les choses positivement : « Je dirais même que travailler avec deux chefs sur une même production est chose rare ! ». Autre changement de programme : Franck Leguérinel a dû être remplacé par Christophe Mortagne à une semaine de la captation, soit la veille du premier jour de la générale. « Cela a été plus difficile à gérer pour les maîtrisiens car ils ont dû modifier tous leurs repères. Je leur répète cependant qu’ils vivent une expérience professionnelle en conditions réelles, et que ce genre de choses peut arriver ».

Les enjeux d'une captation

Le travail sur une captation diffère de celui sur un spectacle avec public. Selon Laurent Pelly, « en termes de volume sonore avec l’orchestre, on va travailler plus sur l’équilibre des voix à l’image que sur l’équilibre des voix dans la salle. Ce ne sont pas des chanteurs avec des grosses voix. L’orchestre est certes réduit, mais il y a quand même 25 musiciens. Tous les chanteurs seront ensuite repris avec des micros pour la diffusion ».


Le Voyage dans la Lune, Opéra Comique ; © Stefan Brion

Pour le passage du piano à l’orchestre, quelques jours avant l’échéance finale, Sarah Koné avait confiance en ses maîtrisiens : « La vocation de la Maîtrise Populaire est de développer une formation à la scène. Les cours que les maîtrisiens reçoivent les initient déjà à ce qu’est une masse orchestrale. Nous faisons tout pour qu’ils ne soient pas surpris. L’enseignement est très concret, nous leur donnons des outils pratiques pour le plateau, et pas seulement des bases musicales pures ». Sarah Koné regrette cependant que les parents ne puissent pas être dans la salle à cause de la situation sanitaire, mais « les maîtrisiens peuvent voir leurs enseignements quotidiens se concrétiser sur le plateau. Ils peuvent vivre l’adrénaline de la scène et avoir l’expérience de la caméra ».

Le projet aura donc donné des sueurs froides à l’équipe artistique et à l’Opéra Comique jusqu’au bout. « Avec Laurent Pelly, nous n’avons pas souhaité nous laisser contraindre artistiquement par la situation sanitaire. Nous avons donc décidé de garder la mise en scène et de laisser la place au spectacle vivant. Le langage de la Maîtrise est entré en résonance avec le travail de Laurent. Il y a eu une vraie rencontre. La transmission forte entre les maîtrisiens fait que le spectacle est abouti, alors qu’ils n’ont pas tous travaillé en même temps à chaque étape ». Nous pouvons en attester, pour avoir assisté à la générale. Les dialogues ciselés trouvent une vraie signification à notre époque, et les maîtrisiens sont d’un dynamisme à toute épreuve dès le lever de rideau. Le roi Vlan est un ersatz de Patrick Sébastien, gouvernant des jeunes sujets voués à être des boomers avant même de grandir. Si sur la Lune, les Sélénites ne connaissent pas l’amour, c’est l’éducation sentimentale qui ouvre les consciences. La diffusion télé devrait en tout cas nous donner un nouvel angle (celui pour lequel la représentation était prévue) pour nous replonger dans ce voyage spatial théâtral savoureux, sous forme de déconfinement littéralement « extra-terrestre ».

Thibault Vicq
(propos et impressions recueillis en avril 2021)

Campagne de financement participatif de la Maîtrise Populaire de l'Opéra Comique en ligne jusqu'au 31 mai

Crédit photo © Stefan Brion

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