Alexander Neef finalement nommé à la tête de l’Opéra de Paris

Xl_alexander-neef-sera-bien-le-nouveau-directeur-de-l-opera-de-paris © HO / Canadian Opera Company / AFP

Après des mois de rumeurs et d’incertitudes, le voile s’est enfin levé sur la nomination du successeur de Stéphane Lissner, l’actuel directeur de l’Opéra national de Paris dont le mandat arrive à terme en 2021 : l’Allemand Alexander Neef vient d’être nommé par l’Elysée à la tête de l’institution parisienne après des mois de feuilleton et tergiversations.

Les enjeux d'une nomination

Tout débute à l’automne 2018, quand on apprend que le mandat de Stéphane Lissner ne sera pas renouvelé, officiellement parce qu'il est frappé par la limite d’âge (un second mandat l’aurait conduit au-delà de l’âge de la retraite), plus officieusement parce que certains conseillers de l’Elysée se montrent particulièrement critiques à l’égard du directeur de l’Opéra de Paris. On connait néanmoins la formule : « la critique est aisée, mais l'art est difficile » et si la non-reconduction de Stéphane Lissner est vite annoncée, il s’avère bien plus complexe de lui trouver un successeur.
Il faut dire que la direction d’une institution comme l’Opéra de Paris est porteuse de nombreux enjeux. Evidemment, sur un plan artistique, il faut pouvoir définir une programmation saison après saison, qui doit à la fois faire vivre le répertoire, notamment français (c’est l’une des missions d’un opéra national), mais aussi contribuer à renouveler le genre au travers d'une politique de créations et de commandes de nouvelles œuvres. Il faut aussi être en capacité d’attirer des interprètes à la mesure du rayonnement international de l’institution, qui contribuera à remplir les deux (et bientôt trois) salles qui composent l’Opéra de Paris (fortes de 2700 places à Bastille et 1900 à Garnier). Car au-delà des considérations artistes, la « Grande Boutique » est aussi une grosse société, forte d’un budget de 220 millions d’euros et dont il faut équilibrer les comptes : d’abord grâce à la billetterie en attirant le public (et en le renouvelant, notamment en s’adressant aux jeunes spectateurs), mais aussi en défendant ses dotations publiques (90 millions, la deuxième plus importante après celle du Louvres) et en développant le mécénat (Stéphane Lissner en a été l’un des champions, récoltant près de 18 millions d’euros l’année dernière). L’Opéra de Paris, c’est aussi 1700 salariés et des syndicats puissants, dont les grèves ont plusieurs fois contrarié les productions phare de l’établissement.
On le comprend, le profil idéal du directeur de l’Opéra de Paris est à la fois artistique, économique, politique, gestionnaire ou encore social, et force est de reconnaitre qu’il n’y a pas pléthore de candidats susceptibles de correspondre au portrait-robot.

Alors au ministère de la culture, Françoise Nyssen en prend rapidement conscience après avoir consulté quelques figures du milieu. Quelques noms circulent (comme celui de Christophe Ghristi, alors à la tête de Capitole de Toulouse, avant que l’intéressé ne démente par voie de communiqué) et on imagine des solutions alternatives (nommer deux directeurs pour succéder à Stéphane Lissner, un « mentor » ayant l’expérience, accompagné d'un « bras-droit » qui développerait une vision d’avenir), avant qu’elles ne soient écartées.
Plus le temps passe, plus il devient urgent de trouver un successeur à Stéphane Lissner, à l’heure où il convient de préparer les prochaines saisons de l'établissement parisien, qui s’établissent plusieurs années à l’avance (et l’intéressé a fait savoir à Françoise Nyssen qu’il ne préparerait de nouvelles saisons au-delà de son mandat, « au cas où »). Pour encourager les candidatures, le ministère de la culture (échu à Franck Riester en octobre 2018) nommait en mars dernier un comité ayant pour mission d’auditionner les candidats potentiels et d’évaluer leur projet respectif pour l’Opéra de Paris.
Onze noms sont retenus. Certains sont vite écartés, d’autres s’en écartent (comme Christina Scheppelmann, la seule candidate, qui prendra finalement la direction de l’Opéra de Seattle), et une short-list réunit finalement quatre noms : le très expérimenté Dominique Meyer (qui doit quitter l’Opéra de Vienne, mais il préférera prendre la tête de la Scala de Milan), le dynamique Olivier Mantei (qui a su renouveler la programmation de l’Opéra-Comique), le dramaturge belge Peter de Caluwe (en poste à la Monnaie de Bruxelles) et l’outsider Alexander Neef qui officie à l’Opéra de Toronto.

Si la prolongation du contrat de Stéphane Lissner a, un temps, été envisagée, c’est finalement Alexander Neef qui prendra donc la direction de l’Opéra de Paris en 2021, pour un mandat de six ans susceptible d’être reconduit. L’Elysée le confirmait ce mercredi au terme du conseil des ministres, acté par voie de communiqué par l’Opéra de Paris.

Qui est Alexander Neef ?

Le jeune directeur allemand – né à Ebersbach an der Fils, près de Stuttgart, en 1974 – a déjà derrière lui une belle carrière et une forte expérience dans le domaine. Alexander Neef connaît en effet l’Opéra de Paris de l’intérieur pour y avoir été nommé directeur de casting entre 2004 et 2008 sous l’ère de Gérard Mortier, après avoir préalablement obtenu un diplôme en philologie latine et histoire moderne de l'université de Tübingen (en Allemagne) et fait ses armes en 1992 dans l'administration artistique pour le Festival de Salzbourg durant deux saisons, puis à la Ruhrtriennale pendant trois autres années.

Il quitte l’Opéra de Paris suite à l’appel de la Canadian Opera Company (COC) qui venait de perdre brusquement son directeur général, Richard Bradshaw, alors en poste depuis plus de vingt ans. Alexander Neef n’a alors que 34 ans, mais il parvient au cours de son mandat à faire de cette institution un lieu d’art rajeuni et reconnu, notamment grâce à une politique de billets à prix réduits pour les étudiants et à ses créations, dont les premières mondiales de Pyramus and Thisbe de Barbara Monk Feldman en 2015, et Hadrian de Rufus Wainwright en 2018 avec Thomas Hampson dans le rôle-titre (même si l’accueil critique fut mitigé). Son inquiétude quant à l'absence d’éducation artistique de la jeunesse l’a par ailleurs également amené à mettre en place la COC Academy, une académie pour les jeunes professionnels de l’opéra. Parallèlement, il est depuis 2018 le directeur artistique du festival lyrique de Santa Fe, au Nouveau-Mexique. Cette même année, il remporte l'Opera Canada Award, décerné par le magazine Opera Canada et déclare à cette occasion que « même s'il est important de satisfaire (le) public traditionnel, il faut aller plus loin et penser au public du futur, c'est ça, le grand défi ».

Le communiqué de l’Opéra de Paris précise que le nouveau directeur « développera un projet lyrique ambitieux, qui accordera une place importante au répertoire français, et conjuguera le maintien d’un haut niveau artistique avec les enjeux de la démocratisation, de la recherche de nouveaux publics et du développement de l’éducation artistique. Il développera une offre culturelle et artistique novatrice pour la Salle Modulable de l’Opéra Bastille. Avant de prendre les rênes de l'établissement à l'automne 2021, Alexander Neef aura deux ans, en sa qualité de directeur préfigurateur, pour préparer ses premières programmations. Il participera en outre aux chantiers d'organisation conduits par Stéphane Lissner qui quittera ses fonctions à l'été 2021. » Cela signifie donc que le directeur trilingue a 24 mois devant lui afin de préparer sa première saison à l'Opéra de Paris (on imagine qu'elle sera particulièrement scrutée), à laquelle s’adjoint la refondation de la convention collective, ainsi que la construction de la nouvelle salle modulable au sein de l'Opéra Bastille, prévue pour 2022.

À cette nomination s’ajoute également celle « d’un directeur adjoint, Martin Ajdari (50 ans), actuel représentant de l’Etat dans l’ensemble des conseils d’administration des médias audiovisuels, qui a déjà effectué un passage par le poste susdit de manière éphémère en 2009 » (selon Le Monde), ainsi que le renouvellement du Conseil d'Administration, « permettant ainsi la nomination de trois personnalités qualifiées: Patricia Barbizet, présidente du fonds d'investissement Temaris & Associés, Jean-Pierre Clamadieu, président du groupe Engie, et Stéphane Richard, président-directeur général d'Orange. Sur proposition du Conseil d'Administration Jean-Pierre Clamadieu est nommé par le Président de la République, et après avis du Conseil des Ministres du 24 juillet 2019, président du Conseil d'Administration ».

Enfin, n’oublions pas qu’Alexander Neef est par ailleurs familier des modes de financement privés et du mécénat, qu'on sait très courants sur le continent américain, et qu'il pourrait continuer d'étoffer à Paris en cette période de baisse des dotations de l’Etat. On sera sans doute curieux de découvrir comment ce nouveau directeur parviendra à insuffler une nouvelle jeunesse au plus ancien des théâtres lyriques, sans pour autant trop brusquer la tradition qui ancre ses murs... En attendant que ne soit nommé le prochain directeur musical de l'Opéra de Paris, après le départ de Philippe Jordan l'année prochaine pour l'Opéra de Vienne. 

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