Giulio Cesare au Gran Teatre del Liceu : quand le meilleur des mensonges est la vérité

Xl_giulio-cesare_gran-teatre-del-liceu-2025_david-ruano_01-xavier_sabata_julie_fuchs © David Ruano / Gran Teatre del Liceu

Dans le programme de salle évoquant son travail de metteur en scène de Giulio Cesare in Egitto au Gran Teatre del Liceu de Barcelone, Calixto Bieito indique que « le meilleur des mensonges est la vérité ». En d’autres termes, il ne juge pas, il se contente de présenter clairement les absurdités grotesques du monde réel, et ce, à travers l'opéra – et si quelqu'un doit en tirer une leçon, qu'il le fasse. Appliqué à Giulio Cesare, le principe du metteur en scène consiste à présenter les protagonistes de l’opéra de Haendel comme une extravagante tribu de multimillionnaires qui, dans le cadre artificiel d'un paradis « high-tech », se consacrent essentiellement à se détruire mutuellement, et où le sexe, la trahison, la manipulation, la tromperie, l'humiliation, la violence ou encore la cruauté sont autant de voies menant vers le pouvoir, appréhendé comme objectif ultime.

En deuxième partie, la scène affiche une impressionnante scénographie imaginée par Rebecca Ringst, rappelant le pavillon saoudien de l'Expo 2020 à Dubaï – un bâtiment qui apparaissait notamment comme une démonstration exorbitante de puissance économique. Et le fait que tous les protagonistes terminent l'opéra assis sur des toilettes dorées, sorte de quintessence suprême du kitsch des puissants, prend ici des allures de véritable déclaration d'intention.

Il y a vingt-cinq ans, le même Calixto Bieito avait déjà rempli la scène du Liceu de toilettes dans sa version d'Un ballo in maschera, provoquant à l’époque un scandale monumental – peut-être l'un des plus imposants de l'histoire du Liceu. Aujourd'hui, dans ce qui pourrait apparaitre comme un « auto-hommage » (ou une parodie ? ou une vengeance ?), le metteur en scène réitère, mais cette fois sans susciter la moindre réaction. En effet, le meilleur des mensonges est la vérité.

Giulio Cesare in Egitto - Gran Teatre del Liceu Barcelona (2025) (c) David Ruano
Giulio Cesare in Egitto - Gran Teatre del Liceu Barcelona (2025) (c) David Ruano

Dans le « cadre incomparable » de la scénographie, les intentions de Calixto Bieito pour ses personnages fonctionnent parfois, parfois moins. Giulio Cesare est un opéra très long : les nombreux airs de l'ouvrage suivent tous une structure da capo (et la direction musicale ne nous en a épargné aucun). Le da capo est souvent le calvaire des metteurs en scène – et c’est encore le cas ici. Toutes leurs munitions théâtrales s’épuisent dans la première partie de chaque air et ils ne savent ensuite plus quoi faire des chanteurs lors de la répétition, si ce n'est leur faire reproduire ce qu'ils ont déjà fait. À cet égard, Giulio Cesare est parfois fastidieux.

La mise en scène se révélait bien plus efficace dans le magnifique travail réalisé par Calixto Bieito il y a deux ans pour L'incoronazione di Poppea que dans ce Giulio Cesare, présenté en coproduction avec l'Opéra national néerlandais et déjà vu à Amsterdam en janvier 2023.

Sur le plan musical, la première s'est améliorée progressivement pour s’achever en beauté. La direction orchestrale était assurée par William Christie, figure majeure du monde baroque. Et pour la première fois de son histoire, l'Orchestre du Liceu (ponctuellement renforcé par des musiciens des Arts Florissants, l'ensemble de Christie) jouait avec des instruments d'époque avec un accordage historique. Transformer l'Orchestre du Liceu en « orchestre baroque » n’est pas une mince affaire et les débuts se sont révélés incertains, mais les musiciens ont rapidement commencé à s'écouter mutuellement, permettant au son de prendre forme, pour finalement atteindre un haut niveau orchestral.

Giulio Cesare in Egitto - Gran Teatre del Liceu Barcelona (2025) (c) David Ruano
Giulio Cesare in Egitto - Gran Teatre del Liceu Barcelona (2025) (c) David Ruano

Vocalement aussi, le début de soirée est incertain. Xavier Sabata aborde laborieusement son premier air redoutable, « Presti omai l'egizia terra », que Haendel a écrit pour les formidables capacités du célèbre castrat Senesino, et qui prend manifestement le chanteur au dépourvu. Le César de Xavier Sabata, imposant sur scène, s'améliore néanmoins musicalement au fur et à mesure de la progression de l'œuvre, pour finalement atteindre l'excellence en deuxième partie.

Julie Fuchs incarne une Cléopâtre du plus haut niveau, tant sur le plan scénique que vocal. La soprano introduit quelques variations stylistiques discutables dans le da capo de « Piangerò la sorte mia ». Ce n’est peut-être pas pertinent sur le plan musical, mais correspond parfaitement à la nature débauchée du personnage. Julie Fuchs, qui avait déjà participé à la première de cette production à Amsterdam, s’appuie sur cette expérience pour enrichir son interprétation et compose une Cléopâtre séductrice et sans scrupules qui utilise sa beauté pour manipuler et arriver à ses fins.

Teresa Iervolino interprète Cornelia, la veuve de Pompée décapité, harcelée par tous ou presque. La mise en scène lui en demande beaucoup, peut-être trop, et la mezzo est inégale en début de soirée (quand elle est confrontée à la tête de son mari, elle se transforme en une sorte de zombie vaguement cannibale), mais s'améliore considérablement au fil de ses nombreuses et difficiles apparitions. Cameron Shahbazi est également convaincant dans le rôle de Tolomeo. Il aurait peut-être pu briller davantage vocalement, comme le permet la partition, mais sur le plan scénique, il assume pleinement son rôle et n'aurait pu être plus dépravé et pervers sans tomber dans la caricature.

Sesto, le fils de Pompée, qui entretient avec sa mère une relation ambigüe digne d'un manuel de psychanalyse, est interprété par Helen Charlston. La voix est puissante, mais semble peu contrôlée, avec des changements de ton et de dynamique souvent inappropriés.

José Antonio López apparait solide dans le rôle d'Achilla, le général qui trahit d'abord les Romains, puis les Égyptiens, et enfin, in articulo mortis, dans un rebondissement que même Haendel lui-même n'aurait pas cru, précipite la conclusion de l'histoire.

Alberto Miguélez Rouco se montre efficace mais pas particulièrement brillant dans le rôle de Nireno, le confident de Cléopâtre, et Jan Antem est bon dans le rôle de Curio. Les brèves parties chorales de l'opéra sont interprétées collectivement par les solistes.

traduction libre de la chronique de Xavier Pujol, initialement publiée en anglais
Barcelone, 25 mai 2025

Giulio Cesare de Handel au Gran Teatre del Liceu, du 25 mai au 7 juin 2025

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