Une stimulante résurrection des Oiseaux de Braunfels à Munich

Xl_die_v_gel_6___wilfried_h_slbayerische_staatsoper © Wilfried Hösl/Bayerische Staatsoper

Même pour une oreille musicale avisée, Les Oiseaux se réfère plus volontiers au film d’Alfred Hitchcock qu’à un opéra, surtout quand on précise qu’il a été écrit par Walter Braunfels. On commence à effacer l’ardoise de l’oubli pour ce compositeur depuis la série d’enregistrements « Entartete Musik » (« Musique dégénérée ») du label Decca, sortie en 1996 et qui le faisait apparaître aux côtés de Goldschmidt, Korngold ou Zemlinsky. Le problème de Braunfels vis-à-vis des nazis ne résidait pas dans la nouveauté de sa musique – profondément straussienne et post-romantique – mais dans son refus d’avoir composé un hymne à Hitler avant son putsch raté de Munich en 1923, ainsi que dans le fait d’être juif « à demi ». Braunfels n’a pas eu besoin de s’exiler à l’étranger pour continuer à composer ; il n’a cependant pas pu rester à la tête de la Staatliche Hochschule für Musik de Cologne entre 1933 et 1947.


Wilfried Hösl,Bayerische Staatsoper

Die Vögel revient maintenant sur la scène de la Bayerische Staatsoper 100 ans tout pile après sa création. Depuis le début de la saison 20-21, en raison des mesures sanitaires, les représentations de l’institution bavaroise ont pu se tenir avec une jauge maximale de 500 personnes, réduite à 50 la dernière semaine d’octobre, avant que la fermeture des salles concerne tout le territoire fédéral à partir du 2 novembre. La première des Oiseaux le 31 octobre fait ainsi figure de rescapée, et pouvait être suivie en direct en ligne. Il eût été dommage de se priver de la découverte de cette musique opulente en éventail, à la sève délicieuse, définie par l’installation progressive des sons et l’accrétion colorée, mise en liberté avec toute la grandeur du chef Ingo Metzmacher, et défendue par un Bayerisches Staatsorchester gourmand, un chœur « maison » puissant et un nid chahuteur de chanteurs très emballants.

Chahuteur, parce que le metteur en scène Frank Castorf est de la fête ! Le Berlinois, plus connu outre-Rhin qu’en France – il a dirigé pendant près de 25 ans la Volksbühne de sa ville natale –, est entré de façon retentissante dans le monde de l’opéra avec sa Tétralogie dépoussiérée et conspuée à Bayreuth en 2013 (désormais une référence absolue). S’il affectionne à l’opéra les projets-fleuves romanesques (Faust, La Force du destin), le dévolu sur cette adaptation d’une comédie d’Aristophane n’en demeure pas dénué d’ambition et de charge théâtrale. Son scénographe Aleksandar Denić a de nouveau mis au point un impressionnant décor industriel d’agglomérats métalliques, d’écrans, de containers et de structures verticales sur plateau tournant, à tout moment passible d’enregistrements vidéo qui font vivre les personnages dans un espace éclaté au-delà de la vision des spectateurs. Et il se passe toujours quelque chose dans cette action de la simultanéité, même si les idées ne sont pas toujours justifiées.


Wilfried Hösl, Bayerische Staatsoper


Wilfried Hösl, Bayerische Staatsoper

Le point de départ est pourtant simple : Bon Espoir et Fidèlami, deux humains déçus de leurs pairs, partent à la recherche de la Huppe souveraine pour s’installer auprès des oiseaux. En incitant les créatures à plumes à fonder leur propre cité et à reprendre le pouvoir sur les humains et les dieux de l’Olympe, l’équilibre du monde s’en voit bouleversé. Le titan Prométhée tente de les raisonner (d’expérience, ça ne s’était pas bien passé pour lui), mais la colère de Zeus finit par détruire la ville aviaire.

Frank Castorf dépeint la ville initiale comme une communauté de forains felliniens (costumes sensationnels d’Adriana Braga Peretzki) vivant chichement pour l’Art sous toutes ses formes, comme une espèce en voie d’extinction. Le parallèle avec la situation catastrophique des artistes en période COVID n’est pas fortuite ! La maigre étoffe de cheffe de la Huppe (Günter Papendell, épatant de graves avinés et d’aigus scandés dans l’alcoolisme meurtri de la première partie, puis avec la structure ossue du suiveur dans l’acte II) est bien sûr balayée par la mégalomanie de Fidèlami, qui devient calife à la place du calife, dans un uniforme nazi de surcroît (effet un peu facile, même si le discours sur la spoliation opportuniste des biens d’autrui entre dans ce contexte). Michael Nagy restitue magnifiquement l’âme de ce leader beau parleur, mozartien dans la tchatche et tirant scrupuleusement les ficelles prosodiques de ses parties rythmiques éminemment techniques. Un grand portrait de Hitchcock (autre facilité) rappelle son film de 1963 mettant en scène les corbeaux tueurs : on avait compris que les oiseaux n’avaient ni dieu ni maître, hormis peut-être une vierge noire créée de toutes pièces par Fidèlami. L’Aigle de Bálint Szabó, au souffle concentré d’éternité, est volontairement affublé d’un blackface pour être désigné de mauvais augure quand il s’oppose à l’idée de Fidèlami et Bon Espoir. Ce dernier n’est pas toujours à la hauteur sous les traits du ténor Charles Workman, suave et volontaire, mais souvent bas. Le Prométhée lanceur d’alerte de Wolfgang Koch est un volcan wagnérien extériorisant toutes ses pensées avec sagesse ; il a non sans raison des airs de Marx. Caroline Wettergreen est un enchantement cristallin en Rossignol à l’origine de scènes poétiques où l’immatérialité de l’amour et de la curiosité donnent des ailes. « La révolution est le masque », peut-on lire à un moment dans les collages de textes projetés. Il se pourrait que Zeus se soit mêlé à la foule affairée des oiseaux sous forme d’une peintre. On aura en tout cas été becqueté par le réjouissant foutoir de Frank Castorf, mais on a du mal s’imaginer comment on aurait pu apprécier différemment l’œuvre de Braunfels !

Thibault Vicq
(staatsoper.de, 31 octobre 2020)

Les Oiseaux, de Walter Braunfels, disponible en service (payant) de vidéo à la demande sur le site de la Bayerische Staatsoper (Munich) du 5 novembre au 5 décembre 2020, et de nouveau représenté sur place le 20 juillet 2021

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