Une attendrissante Flûte enchantée à l’Opéra de Rennes

Xl_https___www.myra.fr_wp-content_uploads_2025_03_46a7441-copie © Laurent Guizard

Ce qui enchante La Flûte enchantée, c’est peut-être moins sa notion initiatique que son univers magique. Pour son retour à l’Opéra de Rennes (et à Angers Nantes Opéra) après The Rakes’s Progress en 2022, le metteur en scène Mathieu Bauer réemploie la carte de l’amusement, en transposant le Singspiel de Mozart et Schikaneder dans une fête foraine. Le contexte de jeu compte donc davantage que les épreuves individuelles. L’histoire est racontée à travers les sensations, l’identification en souvenirs, que le public pourrait avoir, dans sa propre expérience de cette fabrique à rêves. Avant même l’ouverture, le bonimenteur Sarastro présente un à un les protagonistes, qui vont participer à une sorte de représentation spontanée, où la traversée des décors (de Chantal de La Coste-Messelière) est déjà une épopée en soi, où les petits plaisirs immédiats – pommes d’amour, balançoires, flûte et clochettes comme des lots gagnés à la canne à pêche, passage par la bouche d’une tête de mort – ragaillardissent le récit de vitalité. Il n’y a certes aucun enjeu dramatique, car tout y est simulé pour des spectateurs, mais le premier acte enchaîne les numéros dans une grâce toute pimpante. Pas besoin de sens quand on a la fluidité, le sourire accroché aux lèvres.

La seconde partie peine hélas à développer une trajectoire – on n’a pas vraiment compris si les personnages étaient revenus à leur identité d’administratifs ou de techniciens –, malgré une direction d’acteurs souvent généreuse. Le décor n’a pas changé, et les lumières si radieuses (de William Lambert) dans le I réussissent moins à figurer la transformation de l’espace. Restent cependant des idées bien agencées et des caractères bien croqués qui, même si on ne sait pas vraiment de quoi Mathieu Bauer veut parler, suscitent une proximité.

La Flûte enchantée - Opéra de Rennes (2025) (c) Laurent Guizard
La Flûte enchantée - Opéra de Rennes (2025) (c) Laurent Guizard

L’immédiateté est toute trouvée avec le Papageno en feu d’artifice de Damien Pass. Attachant, touchant, vivace et plein d’esprit, il porte naturellement la joie et le comique jusqu’à leur acmé, autant dans sa tenue de phrase intensément expressive, que dans la connivence qu’il installe avec les spectateurs, ou que dans son ironie ravageuse au service de la musique. On apprécie vraiment que Papageno soit en perpétuel questionnement, dans un débit vocal pluriel. Le baryton-basse compose sans relâche un personnage, aidé d’un instrument souple et robuste, qui l’emmène toujours au-delà de là où on l’attendrait. L’élégance de Maximilian Mayer se cache malheureusement derrière une émission trop précipitée et poitrinée, ainsi qu’un manque de nuances, qui orientent Tamino dans la force plutôt que dans ses subtiles failles. Les débuts d’Elsa Benoit en Pamina font valoir une magie active du changement de tempo, d’un temps pris sur certaines notes ou certains motifs, qui appuie la signification des inflexions. Elle dose progressivement la quantité d’informations véhiculées par le chant, pour avoir toujours des lots auditifs à offrir aux oreilles attentives. La voix a toujours cette capacité à s’élever, à élargir les horizons et à laisser du choix à la suite de l’interprétation. La Reine de la nuit de Lila Dufy (qui remplace Florie Valiquette, « souffrante », lors des trois premières représentations) intériorise sa colère par une longueur de souffle et une autorité du phrasé auxquelles son timbre féerique impose un fascinant calme magnétique. Sarastro a lui aussi cette orientation par la profondeur avec Nathanaël Tavernier, à l’ambitus homogène. Les graves ne sont pas juste des notes à « sortir », mais participent à une promenade musicale complète, claire et en contrôle. Si les Trois Dames d’Élodie Hache, Pauline Sikirdji, Laura Jarrell font preuve d’une motricité vocale manifeste, elles perdent toutefois un peu en orfèvrerie. Benoît Rameau, tout feu tout flamme, campe un attachant Monostatos – oui, c’est possible ! –, et Amandine Ammirati interprète une Papagena très inspirée. Le céleste Paco Garcia donne quant à lui la réplique à Thomas Coisnon, tantôt blottissant, mystique et hypnotique, et le rayonnant Chœur de chambre Mélisme(s) ajoute une dernière touche de soleil à cette distribution.

Nicolas Ellis, directeur musical de l’Orchestre National de Bretagne depuis septembre dernier, concocte un bouillon crépitant d’ingrédients multiples, qui met le doigt sur les trouvailles d’écriture. Ouverture sur ressorts, détails frénétiques, et surtout enthousiasmantes ruptures de tempo et de transitions, qui apportent un rythme tempétueux à l’œuvre. Les textures, entre fumée et rêve, entre glisse et lancers, posent les bases d’un pays du sourire enrichi d’effets. Le chef fait durer ce qui est beau ou inhabituel, cultive l’atmosphère, et fait chanter un orchestre superbement impliqué, au son joyau et au cœur coton.  

Thibault Vicq
(Rennes, 7 mai 2025)

La Flûte enchantée, de Wolfgang Amadeus Mozart et Emanuel Schikaneder :
- à l’Opéra de Rennes jusqu’au 15 mai 2025
- à Angers Nantes Opéra du 24 mai au 18 juin 2025 (au Théâtre Graslin de Nantes du 24 mai au 1er juin, puis au Grand Théâtre d’Angers les 16 et 18 juin)
- en direct sur écrans dans plus de 50 villes des Pays de la Loire et de Bretagne, le 18 juin 2025

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