Un Faust & Furious distingué à l’Opéra Bastille

Xl_monika_rittershaus___opera_national_de_paris-03a-faust-20-21---monika-rittershaus---onp © Monika Rittershaus

On le sait, « c’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », et donc a fortiori en 2021. Qu’est-ce qui pousse Faust vers cette irrépressible besoin de jeunesse dans l’opéra de Gounod ? Moins la quête de sagesse (plutôt propre à l’œuvre de Goethe) que la nécessité de rejouer le cours de sa vie autrement et de redécouvrir les plaisirs du monde. Alors il y a bien sûr le diable Méphistophélès, mais aussi Dieu, qui se fait l’arbitre éthique de l’action, vis-à-vis du rôle-titre (dans le finale) et de Marguerite (les reproches de son frère Valentin sur sa grossesse, ou la scène de l’église qui fait entendre l’inframonde plus fort que les prières de la jeune fille délaissée).


Faust (c) OnP 2021 / Monika Rittershaus


Faust (c) OnP 2021 / Monika Rittershaus

En 2021, Paris est toujours Paris, Faust est toujours ce vieil homme érudit en quête de plaisir, et Dieu est globalement mort (bien que les lieux de culte aient été décrétés plus « essentiels » que les salles de spectacle). C’est de ce constat que part le metteur en scène Tobias Kratzer pour ses débuts à l’Opéra national de Paris. Si on avait apprécié l’association du concept et de la reconstitution contemporaine réaliste dans L’Africaine de Meyerbeer à l’Oper Frankfurt ou dans Lucio Silla de Mozart à la Monnaie, son Faust (que nous avons eu la chance de voir et d’entendre depuis la salle de l’Opéra Bastille) aligne des vignettes techniquement brillantes (superbes décors de Rainer Sellmaier et réalisation au diapason), quoique vidées de substance. L’intention de l’Allemand surdoué est peut-être là : rendre concrète la superficialité de la manœuvre de Faust. Toutefois, l’histoire d’amour (un coup de foudre dans le livret, tout de même !) est reléguée au second plan. La « jeunesse » joue au basket en buvant des bières et danse en club, des notions auxquelles Faust reste étranger, il n’est pas un « vrai jeune ». Même si le pari de transposition fonctionne visuellement, tout reste sage, propre, voire distant dans ce début de représentation. Presque ennuyeux, finalement. Le troisième acte a la bonne idée de mettre à égalité les émois de Marguerite (un air des bijoux dans sa salle de bain, filmée par les invisibles sbires de Méphistophélès comme un unboxing d’influenceuse) et la solitude de la cougar Marthe. L’enfant de Marguerite est en réalité de Méphistophélès et révèle des cornes à l’échographie. L’amusante incursion façon Rosemary’s Baby continue dans le métro (la scène la plus réussie de la soirée), où la rame de Marguerite se vide de ses occupants pour la laisser en proie au diable et à ses voix amplifiées. Notre-Dame brûle dans la nuit de Walpurgis et Marguerite devient prisonnière de l’appartement de Faust, vidé de tous ses meubles, jusqu’à ce que Siebel se sacrifie christiquement pour la femme qu’il aime sans limites. Les éléments fonctionnent séparément, dans l’absolu, mais il leur manque un fil rouge dramaturgique qui ferait dire quelque chose à la mise en scène. En l'état, on ne sait pas trop... 


Faust (c) OnP 2021 / Monika Rittershaus


Faust (c) OnP 2021 / Monika Rittershaus

À approche pop-corn blockbuster, casting de folie ! Du français aussi bien prononcé sur un Faust par tous les interprètes, francophones et internationaux, relève de l’exploit olympique. Benjamin Bernheim (qu’on ne présente plus !), avait déjà chanté le rôle-titre dans sa version initiale au Théâtre des Champs-Élysées pendant le Festival Palazzetto Bru Zane Paris en 2018. Le légato doux, la ligne ambrée et le souffle exalté soulignent le territoire de vérité permanent de son chant, en recherche engagée de l’inatteignable. Sa force réside dans l’absence de dureté ou de sentiments négatifs ; la voix de tête et la voix de poitrine ne cessent de trouver le dosage idéal. Ce voyage de radiance rejoint celui, tout aussi sublime, d’Ermonela Jaho. La soprano compose une Marguerite d’un autre monde, qui s’échappe habilement de l’écriture pour proposer une version neuve de la partition. La grâce omnisciente se retrouve dans ses intervalles solidaires, ses ralentis suspendus, ses appuis mousseux, ses graves nécessaires. Elle se dit jeune demoiselle ; elle a tout de la dame, bouillonnante d’intelligence ! Christian Van Horn est le Méphistophélès d’enluminure tel qu’on l’imagine, ramené à la vie en hologramme et en dolby surround. Flexibilité contorsionniste et projection extraordinaire sont les maîtres mots de cette incarnation proche de la perfection. Du côté des seconds rôles, le Valentin superlatif de Florian Sempey et le Siebel bouleversant et sincère de Michèle Losier participent au plaisir incontestable de la soirée. Sylvie Brunet-Grupposo suit quant à elle un chemin tout tracé dans le rôle de Marthe, avec un peu moins de diversité que ses partenaires, et les Chœurs de l’Opéra national de Paris sont particulièrement imposants.

Dans la fosse, Lorenzo Viotti embarque les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris dans des élans à la personnalité affirmée, en n’omettant aucune partie du conducteur. Il taille des sculptures de détail dans les blocs musicaux. Ce travail sur le macroscopique et le microscopique instaure une direction en plusieurs dimensions qui sied à merveille à l’opéra de Gounod, comme si de nouveaux personnages, dont le livret serait le rythme, s’ajoutaient au récit. Les cordes font preuve d’une superbe cohésion, même dans les glissandi (dont les violoncelles abusent cependant). On passera sur les quelques défauts de justesse chez les flûtes et sur les clarinettes parfois klaxonnantes (sans doute sur les indications du chef), car cet orchestre reste fidèle à son excellence. Dommage, cependant, que Lorenzo Viotti ne lui fasse pas explorer les nuances aussi soigneusement qu’il entre dans la psyché de la portée.

Trop de registre forte, donc (surtout pour les bois), mais n’est-ce pas le propre de la superproduction ? Profiter du moment des courses poursuites et des têtes d’affiche réunies, voir les décors changer à en perdre la tête. Et surtout ne pas se soucier de cohérence générale. Et puis se souvenir des tetes d'affiche. On verra si la retransmission télévisuelle se prête à un peu plus de lisibilité…

Thibault Vicq
(Paris, 19 mars 2021)

. Retransmission sur France 5 le 26 mars à 20h55, puis en replay sur Culturebox
. Diffusion sur France Musique le samedi 3 avril à 20h
. Dans les cinémas ultérieurement

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