Streaming : la Staatsoper de Berlin clôt le printemps en un bouillonnant gala italien

Xl_michael_volle_staatsoper_berlin_20_juin © Staatsoper Unter den Linden

Le temps de l’été est venu pour reprendre des couleurs et redécouvrir celles des fauteuils des institutions lyriques. Le Grand Théâtre de Genève a rouvert au public (sur invitation) avec un remarquable récital de Sabine Devieilhe et le Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg a pu inaugurer ce week-end un Festival des Nuits blanches initialement compromis, avec un gala d’opéra sous la baguette de son maestro Valery Gergiev et devant un public masqué (à voir streaming ici et ). D’autres institutions, telles que Covent Garden, proposent eux aussi des concerts prestigieux en ligne, enregistrés devant une salle vide. C’est la décision de la Staatsoper Unter den Linden, qui, au lendemain d’une sélection de lieder, a fait défiler de grands noms en tenue de soirée dans un solide programme italien faisant la part belle à Verdi.


Charles Castronovo, Staatsoper Berlin (juin 2020)

Olga Peretyatko inonde d’aisance dans le redoutable « Bel raggio Lusinghier ». Rossini lui va comme un gant dans l’interprétation frétillante et adolescente de la reine Sémiramis. Un air virtuose qui n’est pas uniquement perçu à travers la performance technique mais par l’imbrication des différentes composantes, c’est le signe des grandes ! Le propos intelligemment servi et l’évident plaisir à partager la musique sont également portés par la formidable pianiste Alevtina Sagitullina, qui l’accompagne. Malicieuse avec la soprano russe, elle se fait garante de l’inextricable lien à la vie aux côtés de Michael Volle, en faisant incroyablement sonner les notes non pas au moment de l’action du marteau, mais après l’émission. Le baryton reprend le rôle de Nabucco qu’il avait chanté pour la première fois à Zurich l’an dernier, et transcende le questionnement et le jeu, l’effondrement et la fébrilité physique dans une prestation sagace. Charles Castronovo sublime « Oh fede negar potessi agl’occhi miei! … Quando le sere » (Luisa Miller), fracassant et royal dans l’introduction, mû par l’honneur et les restes de son amour profond dans l’aria. Les phrases commencent avec assurance avant que l’idylle ne soit extraordinairement rompue par des changements de caractère soudains, plus introspectifs.


Elsa Dreisig, Staatsoper Berlin (juin 2020)

La troupe de la Staatsoper se déconfine elle aussi dans des propositions vocales éclairées. La Violetta d’Elsa Dreisig resserre un étonnant fil intérieur, à la sagesse exacerbée ; sans trop en faire, elle allonge les durées pour rester dans la sécurité de ses pensées et pour vaincre le silence qui la renverrait à sa solitude. En résulte une plénitude peu commune, loin des clichés de la courtisane manipulatrice. La soprano Ekaterina Siurina déroule un « Ave Maria » d’Otello (Verdi) où la foi est le début d’un ample écosystème de passion, pourtant habilement contrôlé dans la retenue. Les contrastes oniriques d’Anna Prohaska illuminent un extrait de Falstaff en piste aux étoiles. Son legato irisé répond au piano chaloupé de Bonnie Wagner, comme peuplé d’une multitude de petites mains taquines. L’instrumentiste soutient sans faille l’épaisseur des constructions et déconstructions générées par René Pape (en Simon Boccanegra). La basse allemande se glisse au sein d’un tissu musical palpable qui passe d’une matière à l’autre en toute homogénéité. Les cruelles extravagances de Lady Macbeth ne font pas peur à Marina Prudenskaya, qui serre la poigne de griffes inquiétantes, en dépit de graves et aigus légèrement paniqués. En Attila, Grigory Shkarupa incite au combat en avènement patriotique, en sous-entendant la fin funeste qui peut attendre les soldats. Avec un soupçon de rigidité en moins, cet appel du 19 juin aurait été éclatant, d’autant qu’Alevtina Sagitullina y fait résonner les bassons et le poids des cordes en un même orchestre pianistique stupéfiant. La déception la plus marquée du récital concerne la « Casta diva » d’Evelin Novak, placide, maladroitement ornementée, très limite au niveau de la justesse, malgré des aigus assurés.

Chacun des moments a droit à son salut final, « comme avant ». La transition vers le monde d’après est fin prête, il ne manque plus que les spectateurs !

Thibault Vicq
(staatsoper-berlin.de, 19 juin 2020)

Récital de la Staatsoper Unter den Linden (Berlin) disponible en streaming sur YouTube

 

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading