Stéphane Degout et Alain Planès en récital à l’Athénée : le pile ou face de la mélodie française

Xl_st_phane_degout_et_alain_plan_s © Thibault Vicq

Les lundis musicaux se poursuivent à l’Athénée avec un récital de Stéphane Degout et du pianiste Alain Planès. Le baryton n’a pas attendu sa Victoire de la Musique Classique 2019 en tant qu’Artiste lyrique, il y a deux semaines, pour sillonner les plus grandes maisons d’opéra. En l’espace de quelques mois, il a été Valentin (Faust de Gounod) en ouverture de saison au Teatro Real, un superbe Hamlet dans l’œuvre éponyme d’Ambroise Thomas à l’Opéra Comique en décembre, et un saisissant Chorèbe dans Les Troyens à la Bastille, avant de reprendre au printemps à Hambourg et à l’Opéra national de Lyon le rôle du Roi dans Lessons in Love and Violence de George Benjamin, créé en mai 2018 à Covent Garden.

Ce soir, au Théâtre Louis-Juvet, si le propos est de tout de même moins intense que dans les intrigues dramatiques, la voix reste alerte, conserve une divine projection et un maintien admirable dans chacune des mélodies. Le pianiste, digne d’éloges, fait toujours sonner l’instrument avec une facilité déconcertante. Ils parient sur la mise avant simultanée de leurs deux personnalités, comme les deux faces d’une même pièce à l’autonomie distincte. Mais c’est seulement lorsque la pièce retombe sur la tranche (fait plus rare), en synthèse des deux univers, que la musique emporte pour de bon…

Les deux géants se rencontrent pleinement dans la fantaisie clinquante de Chabrier. Alain Planès entame une ritournelle intérieure et souffle des décors fondus dans les chromatismes de la lettre. Stéphane Degout manifeste l’éclat de l’amant et le grandiose de l’exotisme.

La musique de Debussy ne fait pas toujours corps avec le texte. Le décalage d’intentions entre le chanteur, dans le soin trop appuyé d’être entendu, et l’instrumentiste, désinhibé dans sa diversité de jeux, rend la démarche parfois opaque, voire mène à une invisibilité musicale. Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine en font malheureusement les frais en début de soirée, où la platitude et la sécheresse de la ligne vocale font notamment perdre en fluidité. Dans La mer est plus belle, on entend la stupéfiante attaque des marteaux depuis les profondeurs des abysses, alors que les vers semblent être récités sans grande conviction. Le baryton n’insuffle de vie concrète que dans les graves, avant qu’une agressivité des couleurs ne couvre les ressacs magiques de son acolyte. Soupir souffre de problèmes de justesse et de développements décousus dans le chant, alors que le piano s’élargit en basses lourées pourtant originales. C’est lorsque Stéphane Degout se plonge dans un légato grisant que les superbes horizons rythmiques d’Alain Planès prennent tout leur sens. Les Debussy de la deuxième partie s’assoient avec succès dans le gras harmonique, dans l’expression énigmatique sans direction ostensiblement établie. Le duo gagne alors en éloquence grâce à son dialogue silencieux. Crois mon conseil, chère Climène est ainsi sublimé par la matérialisation de la partition en bois mouillé, tandis que les vaillantes Chansons de France apportent des intonations lumineuses.

Chez Fauré, seul Après un rêve sera pourvu de nuances véritablement porteuses de la part du baryton, qui donne plus de crédit à l’impulsion de l’attaque qu’au contenu, et ternit les autres tableaux pourtant magnifiquement animés par le pianiste. Ce dernier fait bouger les lignes en balancements, ricochets et arabesques.

Duparc conclut le concert avec davantage de constance. Les mélodies s’épanouissent plus naturellement dans la mezza voce et la condensation sonore, pour enfin gagner le panache gaillard du Galop. Stéphane Degout tire ici profit de la dramaturgie sans trop en dire : il s’ouvre noblement, marche au cœur des mots et saute de résonance en résonance pour entrer dans le son de ses précédentes notes. Le chant se meut en vision radiographique et en ressenti de l’a posteriori. Alain Planès expose magnifiquement la froideur mortifère de la pierre, forme et déforme les sons, instaure une mise en scène organique sans début et sans fin.

En bis, Duparc, Ravel et Fauré font retomber la pièce du côté de la tranche : les deux mondes se rencontrent en congruence. On espère que cette soirée mi-figue mi-raisin en annonce d’autres bien meilleures, où les deux faces de la pièce auront disparu au profit d’une surface uniforme et bouillonnante, à l’image de ces deux artistes de grand talent.

Thibault Vicq

Crédit photo © Thibault Vicq

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