Sémélé, la boîte à surprises du Théâtre des Champs-Élysées

Xl_semele © Thibault Vicq

« Le dernier opéra de Haendel ». La formule serait accrocheuse si elle était parfaitement vraie. Or, les débats musicologiques ne sont pas tranchés sur le statut de Sémélé. L’œuvre est élaborée en un mois en 1743, période où le compositeur enchaîne les oratorios. Elle est créée en version de concert lors d’un festival de Carême dédié à la musique liturgique, mais le livret profane, repris d’un opéra de 1706 et d’après Les Métamorphoses d’Ovide, effarouche le public venu chercher des sujets bibliques. Sans parler du contenu littéraire – très opératique – inhérent aux dieux romains peu vertueux, ou la place centrale du chœur – une caractéristique des oratorios – qui font s’emmêler les concepts. Les débats n’ont guère d’importance, tant la musique se suffit à elle-même et tant les personnages tracent leur zone d’expression. Malgré une salle peu remplie (sans doute en raison de l’absence de stars en tête d’affiche), le Théâtre des Champs-Élysées aurait eu tort de se passer de cette soirée aux multiples talents.

L’ensemble The English Concert se délecte évidemment de la partition, mais livre un numéro de Mr. Jekyll et Mr. Hyde : lorsque Harry Bicket est au clavecin, l’orchestre ne sonne pas et les enchaînements stricts sont de mise, tandis que les couleurs se déploient quand le chef se lève et dirige. On peut déplorer la sécheresse et le peu d’écoute de violons usants et assourdissants, couvrant presque systématiquement les bois. Ces derniers, quand on peut les entendre, livrent des solos de grande classe et instaurent des bribes d’atmosphère éthérée. Le déséquilibre des tutti se manifeste par des longueurs d’archet trop courtes, qui jalonnent l’œuvre de trous de son, quand on attend une continuité. Harry Bicket trône en rassembleur dans les piano, dans les effets, dans la radicalité de l’articulation musicale, et se distingue en fin de compte par son interprétation avisée, et une précision chirurgicale des fins de notes. Il prend également en main avec savoir-faire le superlatif Clarion Choir, nuage parfumé omniscient, tantôt gras, tantôt fumé, soucieux d’une prononciation aiguisée des « s » et des « sh ». Ce chœur ne se cantonne pas à une fonction support ; il se confie en une présence énergisante et déterminante au cœur battant.

La distribution transporte quant à elle par la diversité de portraits qu’elle esquisse. La Sémélé de Brenda Rae ne s’impose pas en diva. Elle intègre discrètement ses respirations en composantes musicales du chant, et tire profit de la version de concert pour puiser dans les couleurs vocales du récital avec piano. Les interconnexions de phrases, la distinction des timbres et les envolées dans les ornements ne font aucun doute : la soprane maîtrise sa technique. On craint pendant le deuxième acte que sa recette de joliesse ne soit trop répétitive. Le dernier acte prouvera le contraire : la mort de Sémélé montrera l’aspect brut d’un joyau à contre-courant, une variante dramatique à la posture un peu distante qui était révélée jusqu’alors. Le mari Athamas est campé par un Christopher Lowrey un peu moins convaincant que dans La divisione del mondo, vu à Strasbourg et à Nancy ces dernières semaines. La diction anglaise idéale et la propreté des phrases ne font malheureusement pas ombre aux tenues légèrement transies et à la banalité qu’inspire son personnage sous ses traits. La basse Soloman Howard (Cadmus / Somnus) dessine ses lignes mélodiques avec application, mais a tendance à trop accentuer ses attaques, découpant ainsi la cohérence des phrases. Si les couleurs chantantes de Jupiter, campé par Benjamin Hulett, s’ouvrent sémillantes et pop, en courants motivants, le temps étiole sa performance. Le ténor bataille avec les parties rapides et s’enferme dans un carcan trop mécanique. Ino et Junon portent les métamorphoses contrastées d’Elizabeth DeShong. On ne comprend pas toujours où la mezzo veut en venir dans ses phrases ; on reste souvent collé à son fauteuil par la profondeur de cette voix magnétique, entre graves aquatiques et aigus rocailleux. Ailish Tynan figure enfin une Iris guillerette, faisant résonner ses « t » avec malice.

Rien que pour la réunion de ces artistes peu communs à Paris, le jeu en valait la peine.

Thibault Vicq
(Paris, le 3 avril 2019)

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