Salome Jicia, Tosca tout feu tout flamme à l’Opéra national de Lorraine

Xl_tosca_opera-national-de-lorraine_2022_salome-jicia-c-jean-louis-fernandez © (c) Jean-Louis Fernandez

Après sa Lucrezia Borgia déroutante au Teatro Comunale de Bologne le mois dernier, nous étions impatients de découvrir le travail de Silvia Paoli sur Tosca à l’Opéra national de Lorraine (en coproduction avec Angers Nantes Opéra, l’Opéra de Rennes et l’Opéra de Toulon). Le poids des mots appelle en elle un esprit de synthèse visuelle, dans l’épure et l’espace monochrome, de façon à laisser libre cours aux passions immédiates du trio de tête. Le premier acte conte ce que nous voyons et ce que nous ne voyons pas, à travers un échafaudage de peintre, dont les filets servent à cacher les silhouettes et faire voltiger les ombres. Le II nous plonge dans la salle à manger de Scarpia, munie d’une seule table et d’une croix. Au III, deux parois soumettent au plateau les dimensions d’un cachot ou d’un peloton d’exécution, à quelques mètres d’un amas de squelettes figurant les précédentes victimes érodées par le temps. L’aspect clinique du plateau se réfère selon elle directement à l’esprit de Scarpia. L’excellente partie inaugurale précède cependant une deuxième moitié avec quelques moments de flottement, car troquant l’unité dramaturgique pour des interludes esthétiques (sous les superbes lumières de Fiammetta Baldiserri) entrecoupés d’hésitations théâtrales qui instaurent une distance pour le public. Si le spectacle demeure dans l’ensemble de bonne facture, ce parti pris de l’abstraction aurait peut-être plus porté ses fruits sur une œuvre aux émotions moins claires et directes.

Côté fosse, la retenue se situe plutôt au niveau de l’intensité des forte, pour fluidifier les chassés-croisés des lignes musicales. Nous ne pouvons que donner raison à l’exaltant Antonello Allemandi (qui a dirigé son premier Puccini, Turandot, à Nancy en 1988), restaurant la distance entre les sons et la souveraineté d’une matière qui s’accroche et s’enfuit. La première apparition de Tosca a des allures de féerie fantastique, les « dissonances » des accords de septième déclenchent les bouleversements scéniques. Le volume à tout prix n’est pas dans les plans du maestro, car la stratification de nuances qu’il définit avec les instrumentistes suffit à elle seule à évoquer le trouble. Parfois, il fait traîner certains pupitres pendant que d’autres avancent ; l’effet n’en est que plus saisissant. Son approche par avancées et accumulations dérobe encore plus nos repères. Les soupirs se répondent dans cette empreinte rubato contrôlée en cadavre exquis, faite de mousse végétale, favorable à la douceur des sentiments et à la violence psychologique de Scarpia. Les aigus feutrés et basses sournoises de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine suivent sans mal la baguette d’Antonello Allemandi, mais se teintent parfois d’une fébrilité qui n’assume pas la liberté dont ils pourraient se saisir.

Le Cavaradossi de Rame Lahaj a la légèreté du soufflé et l’agilité de l’acrobate. Si sa phrase puccinienne ne manque ni d’idées, ni de panache, ni d’intelligibilité musicale, une interprétation d’acteur perfectible et quelques articulations hâtives assombrissent le tableau étoilé de ces notes en métamorphose. Daniel Mirosław donne au Scarpia hygéniste pensé par Silvia Paoli une méchanceté séductrice, une texture de fumoir trouble. L’aspect brut de sa voix, jusque dans la saleté contrôlée des ports de voix, prend aux tripes, mais nous le sentons un peu fatigué au deuxième acte, à force d’aigus tirés. Tomasz Kumięga, Angelotti de luxe, embrase l’auditoire d’un timbre rayonnant. Daniele Terenzi compose un Sacristain de premier plan, noble et vivace, et Marc Larcher campe un Spoletta tendre et élastique, pour ce répertoire dans lequel le Chœur de l’Opéra national de Lorraine trouve vraiment chaussure à son pied.

Mais l’événément le plus manifeste de cette Tosca nancéienne reste cependant la formidable prestation de Salome Jicia. La fulgurance éruptive vient toujours de l’intérieur, la soprano cultive sa voix comme un haricot magique autoflorissant, aux racines charnues et abondantes. Son extraordinaire Tosca perce les lignes floues du jeu et du réel, et son tissu épais danse les mots, ceux-là même qui battent la mesure du chef-d’œuvre de Puccini.

Thibault Vicq
(Nancy, 22 juin 2022)

Tosca, de Giacomo Puccini :
- à l’Opéra national de Lorraine (Nancy) jusqu’au 2 juillet 2022
- à l’Opéra de Toulon du 7 au 11 octobre 2022

Crédit photo (c) Jean-Louis Fernandez

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