Matthias Goerne en récital à la Cité de la musique : la savoureuse légèreté de l’existence

Xl_goerne_matthias_blue___marco_borggreve_harmonia_mu__3_ © Marco Borggreve

Après les deux anniversaires fêtés cette semaine par l’Opéra national de Paris pour sa saison 2018-2019, c’est deux cent vingt et une bougies que nous soufflions en plus petit comité pour Schubert en ce 31 janvier, à la Cité de la musique, avec le baryton Matthias Goerne et le Kammerorchester Basel. Et aussi celui de Mozart, pour ne pas faire de jaloux, avec quatre jours de retard (il est du 27 janvier).

Le programme s’articulait autour de la Sérénade n°9 « Cor de postillon » et de la Marche en ré majeur, deux pièces du génie de Salzbourg composées pour célébrer la fin de l’année universitaire en août 1779, et de six Lieder de Schubert dont la partie de piano a été arrangée pour orchestre de chambre par le pianiste Alexander Schwalcz.


Kammerorchester Basel ; © Christian Flierl

Le violoniste soliste Daniel Bard, dirigeant lui-même son ensemble, a entamé les festivités avec l’« Allegro con spirito » de cette Sérénade, dans un superbe son, clair et tendre. Les accords prennent le temps de résonner, sans précipitation, et le développement est facétieux, théâtral, plein d’esprit vivace. Arrive un « Menuetto » finement singé, au trio très rubato mené par le basson, la flûte et le violon. Des notes piano insolentes au violon entrecoupent le thème ironique retrouvé dans un sublime équilibre. Le troisième mouvement mène en apesanteur, par ces soufflés dynamiques dans un jeu du chat et de la souris entre les solistes et les accompagnateurs, avant un « Rondeau » accompli comme une récréation de pirouettes en plein air.

Après une accélération finale, alors que devrait débuter le cinquième caractère, c’est la nature romantique qui s’invite. Matthias Goerne entame le Lied Des Fischers Liebesglück (« Le Bonheur amoureux du pêcheur »), sur une orchestration étonnante, entre couleurs stravinskiennes et sonorités modales. Le chanteur vibre la moindre note avec attendrissement, à la vue de sa belle au clair de lune. Ses aigus sont un appel à l’aide dans sa course folle, tour à tour plus intense. Des nuances poudrées l’atteignent au contact de sa bien-aimée, caressées par la pleine conscience d’un orchestre alors plus discret. Das Heimweh (« Le Mal du pays ») replace le Kammerorchester Basel au premier plan. Le baryton projette puissamment sa voix et affirme sa présence, pour revenir ensuite sur des terres plus torturées, devant l’incroyable engrenage maléfique constitué par son accompagnement. Matthias Goerne assombrit sa ligne mélodique dans une dramaturgie plus introvertie, à la révélation de la nostalgie de son héros. Alors que tintent quelques pizzicati, il retrouve l’insouciance du printemps et semble dire bonjour à la vie dans un moment de grâce où la clarinette claironne en toile de fond. Il fait l’expérience de la solitude dans les trois Lieder suivants, d’abord en observant l’ « Étoile du soir » (Abendstern), puis dans « Le Chant du pèlerin » (Pilgerweise), et enfin dans la recherche inquiète de sa douce Alinde. Avec l’astre, il réussit à devenir une partie de l’orchestre, à briller dans ce ciel constellé, notamment grâce à des rallentandos toujours sur mesure, contrant une fatidique pédale de fa dièse au violoncelle. La droiture de son pèlerin passe par des decrescendos dans les aigus et des graves qui sonnent. La constance de son registre medium trahit la bonne foi de son personnage et révèle les changements d’harmonie mesurés de l’orchestre. Sous son dernier costume pastoral, il amène un legato croissant pour se présenter en amant méticuleux.


Matthias Goerne ; © Marco Borggreve

À peine remis de ses retrouvailles avec la gente dame, nous entendons dans la Marche de Mozart une exquise masse de cordes, prise parfois dans un raz-de-marée col legno formidablement bien senti. Il est dommage que le hautbois, accordé trop bas, ternisse le divin « Andantino » de la Sérénade, pourtant phrasé comme dans un rêve, entre des forte touchants et des piano musqués. Le deuxième « Menuetto », est presque beethovenien dans son exécution (c’est un compliment), mais le piccolo, trop haut, et le cor « de postillon » (la raison d’être de cette pièce, au vu de son titre), perdu, flétrissent les deux trios. Le feu d’artifice du septième et ultime mouvement nous réconcilie avec le Kammerorchester Basel, qui sera parvenu à nous offrir un immense moment de musique, seul ou avec Matthias Goerne, déjà en coulisses et aussi superlatif. Si seulement la légèreté de l’existence valait autant que celle du temps ! L’attente serait moins déchirante pour réentendre le baryton à la Philharmonie et à Garnier en avril prochain…

Thibault Vicq

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