Macbeth à l’Opéra de Dijon : échos du bien et du mal

Xl__dsc4217_macbeth_op_ra_de_dijon___mirco_magliocca © Mirco Magliocca

L’Opéra de Dijon a l’élégance du relais. Macbeth, sa première production scénique avec public depuis mars 2020, est le premier spectacle qu’il avait dû annuler à cause de la pandémie. Entre-temps, la maison bourguignonne a changé de direction – Laurent Joyeux a légué les clés à Dominique Pitoiset –, les masques ont fait leur apparition sur les visages, mais le package scénique de Nicola Raab est resté tel que cette dernière l’avait imaginé à l’époque. Et on est en droit de se demander pourquoi elle ne l’a pas affiné en dix-huit mois, car la dispersion et la fadeur ôtent in fine son charme à sa proposition. D’abord chronique domestique prenant son temps au premier acte, l’intérêt s’aiguise par le statisme hypnotique de son plateau au plafond bas. Les décisions sont prises dans la chambre à coucher ou à la table de la salle à manger, dans un intérieur blanc de blanc au design Ikea. La folie meurtrière est le fruit de la routine du couple. L’aseptisation de la vision est édifiante, on a confiance en la confusion du drame pour ces personnages. Las, les blocs de décor (et donc l’espace) commencent à être mal utilisés dès le II, le propos esthétique et narratif passe du coq à l’âne – une atmosphère annoncée de guérilla urbaine qui n’est en fait qu’une scène à une frontière sertie de grillages, des ombres mal chorégraphiées, des apparitions fantasmatiques un peu cheap, une course (plutôt réussie au demeurant) dans la forêt à travers des lunettes militaires nocturnes –, et ce qui pouvait séduire au début de la soirée passe ensuite complètement à la trappe. Lady Macbeth et son mari sont présents de loin dans le déroulement. L’écho de leurs méfaits s’est arrêté d’exister au profit d’un enchaînement mal dégrossi.

Ces fantômes du mal trouvent le moyen de posséder pleinement le corps et la voix de Stephen Gaertner et d’Alexandra Zabala. Le baryton étasunien incarne la peur inquiète avec détermination, dans l’évaporation inouïe de ses phrases. Les démons intérieurs du protagoniste shakespearien défilent dans le placement menaçant et translucide de la voix. Sa bonté emprisonnée entre les murs de maléfices est bien audible, mais reste à raison cadenassée dans l’excitation de l’interdit. Les grande voix comme la sienne savent chuchoter pour mieux impressionner. La désorientation de Macbeth se joue ici. Et quand le vibrato se raffermit et la voix s’endurcit dans les dernières scènes, il est devenu cet homme oubliant qu’il pouvait douter. En cet être métamorphosé, la puissance du timbre happe entièrement et fait même oublier quelques notes légèrement hautes en fin de parcours. La soprano italo-colombienne a le goût du risque. Ses ports de voix tracent un chemin zigzagueur qui enfonce son emprise sur autrui. Elle dresse de portrait d’une Lady Macbeth inquiétante et insaisissable qui ne demande qu’à perdre la raison pour mieux assouvir sa manipulation. Le souffle étanche et le registre large, elle déploie vaillamment de percutantes lignes sinusoïdales en un terrain dépourvu de confort. Le danger a parfois un prix, et on peut trouver la deuxième partie un peu moins performante, malgré la généralisation troublante d’un naturel vocal qui transforme radicalement le personnage.

Le chef Sebastiano Rolli est un dompteur d’acoustique, adepte de l’efficacité maximale. Il ne se suffit pas du simple tempo, il le sculpte et prend en main les rythmes d’accompagnement pour dévoiler les harmonies. Donner à voir une chose pour en voir une autre est le propre de cet opéra. Le langage éthéré sur des basses charnues, c’est toute la complexité de ce que propose le chef qui contient et érige à la fois. Il tire un son aqueux de l’orchestre, la résonance semble extérieure jusque dans les battements. La partition devient matière, élément, concept et émotion, dans des atmosphères qui conviennent parfaitement au volume vocal et à l’auditOrium. Hormis un son effiloché et insécure dans les piano, l’Orchestre Dijon Bourgogne participe sans mal à la magie de la fosse.

Les effluves du bien et du mal, stimulés par ces interprétations refusant la facilité, rencontrent le concret du terrestre, par un Chœur de l’Opéra de Dijon émergeant des abymes et très finement assorti artistiquement. Le brio du légato horizontal de Dario Russo, la minéralité poignante de Carlo Allemano, la vigueur d’Élodie Hache et l’agilité de Yoann Le Lan agrémentent l’approbation musicale du plateau.

Thibault Vicq
(Dijon, 4 novembre 2021)

Macbeth, de Giuseppe Verdi, à l’Opéra de Dijon (auditOrium) jusqu’au 9 novembre 2021

Crédit photo © Mirco Magliocca

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading