Luisa Miller à Angers Nantes Opéra : la force de la musique, le cadre de l’intime

Xl_luisamiller_2641_dperrin © Delphine Perrin pour Angers Nantes Opéra

Après le Theater Erfurt, le Grand Théâtre d’Angers et l’Opéra de Rennes, cette Luisa Miller investit le Théâtre Graslin de Nantes. Sans extravagance, dans les frontières du drame bourgeois, la mise en scène de Guy Montavon (reprise par Jean-François Martin) enserre les sentiments dans des espaces clos, dénués d’issue. Les portes se ferment au même titre que les univers sociaux ne peuvent se mélanger. Luisa et Rodolfo sont promis à l’oubli, la chasse au cerf détourne l’attention de cet amour interdit, Wurm se délecte de son rôle de diable omniscient voué au mal. Dans un langage succinct, les tableaux s’enchaînent. La violence des traditions reste sourde, dans le placement physique de chacun des interprètes. À défaut d’explosion expressive, Guy Montavon opte pour le poison du pas de côté. Le Chœur d’Angers Nantes Opéra – intelligemment préparé par Xavier Ribes dans la chair sonore, le vibrato aligné et le sentiment d’urgence – chante la plupart du temps depuis les coulisses pour souligner la transmission des normes sociétales, occasionnant malheureusement des décalages avec la fosse. Malgré ce défaut et un finale peu exaltant, l’artillerie légère de l’homme de théâtre montre tout du long son efficacité.


Luisa Miller - Angers Nantes Opéra © Delphine Perrin

Souvent reléguée à tort aux rang des œuvres mineures de Verdi, Luisa Miller possède ici un fervent supporter : le chef Pietro Mianiti, qui voit le port de baguette comme un édifiant sport de combat. Il faut le voir soulever la masse orchestrale au milieu d’arpèges imperturbables pour comprendre toute la portée émotionnelle de la partition. L’Orchestre National des Pays de la Loire, à quelques petits dérapages de cordes près, active une horlogerie fine de l’écoute, des relais et du cœur battant, pour former un carrousel des passions. Il avance toujours groupé (avec ses magnifiques pupitres de bois), veillant systématiquement à la netteté collective des débuts et des fins de notes. Pietro Mianiti dessine des lignes nerveuses au biseau, développées par un splendide réseau de rebonds et d’élans. Il regarde l’écriture en face, en duel, dans ce qu’elle comporte de plus physique, dans ses superpositions d’articulations. La spirale des coups du sort de Luisa et de Rodolfo s’avère ainsi impitoyable, ininterrompue, et justifie leur espoir en une forme de manifeste révolutionnaire.

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Le plateau vocal utilise justement (presque) l’ensemble de ses instruments comme une arme de sublimation artistique. Marta Torbidoni, exceptionnelle, recueille tous les suffrages. Sa Luisa jaillissante obéit d’abord à l’exactitude de la lettre musicale, jusqu’au moindre point, trait ou liaison. Sa couette de légato saupoudre sur sa phrase les paillettes d’une bonne fée, diffusées en pollen merveilleux jusqu’à la fosse, puis incarnées dans l’ensemble du corps. Inconditionnelle, elle navigue en permanence entre la vérité du chant et la noblesse des sentiments. Dans la scène qui précède la mort du personnage, elle anticipe d’ailleurs l’absence, esquisse un au-delà : c’est la petite voix qu’on entend aussi bien après le trépas que dans la mémoire des vivants. Rien que pour ces quelques minutes, sa prestation mérite d’être vécue. Federico Longhi compose un Miller sanguin à l’intérieur, mais mesuré à l’extérieur, qui traduit parfaitement le complexe du pouvoir et l’épiphanie des valeurs ancestrales. La voix gagne en douceur à mesure que la lutte interne contre sa condition sociale s’amenuise. Le robuste Walter de Cristian Saitta débute en surprenant vieillard chétif, pour se construire progressivement en lion rugissant plein de panache. Alessio Cacciamani insuffle à Wurm de belles intonations terreuses qui trahissent ses intentions de prédateur dévoreur. Gianluca Terranova ne trouve au contraire jamais la bonne dimension à son interprétation de Rodolfo. La vigueur du début se mue rapidement en implosion imminente et en douleur d’écoute, nourries d’émissions nasales, d’aigus friables et de hurlements sans souffle. L’effusion capiteuse de Lucie Roche et les soutiens élégants de Marie-Bénédicte Souquet apportent les dernières couleurs d’une soirée qui n’en aura pas manqué.

Thibault Vicq
(Nantes, 7 avril 2023)

Luisa Miller, de Giuseppe Verdi, à Angers Nantes Opéra (Théâtre Graslin, Nantes) jusqu’au 13 avril 2023

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