L’Opéra national Montpellier Occitanie vibre avec Sonya Yoncheva

Xl_sonya_yoncheva © Thibault Vicq

Sonya Yoncheva est comme la Martine des livres pour enfants : tout lui sourit quel que soit le lieu où elle se trouve ou le caractère qu’elle incarne. Cette saison, ses succès ont été aussi fulgurants que les malheurs des héroïnes verdiennes qui se sont exprimées par sa voix à l’Opéra national de Paris (Élisabeth de Valois dans la version française de Don Carlos), au Met de New York (ses débuts en Luisa Miller) et sur son album dédié au maestro de Busseto. Après Genève et Dortmund en février et avant de gagner Baden-Baden, la soprano bulgare se produit au Corum de Montpellier puis au Théâtre des Champs-Élysées, et remporte le pari pas si simple de l’exercice du récital.

La complicité de Daniel Oren, à la tête d’un brillant Orchestre national Montpellier Occitanie, à cheval sur le beau son de pupitre, contribue énormément à la réussite de la soirée. Le respect dogmatique de l’écriture musicale et l’extraversion rythmique font de chaque morceau un édifiant carnaval des sentiments. L’ouverture des Vêpres siciliennes représente idéalement l’exécution en « numéros », avec une densité de cordes bienvenue, un impressionnant déchaînement de violence et des magnifiques rubatos « à la russe », tandis que celle de Luisa Miller fait planer menace et douceur par le biais d’un exquis équilibre cuivres-bois. L’exposition de La Force du Destin a beau offrir un écrin distingué à la harpe et au choral de cuivres, l’orchestre ne parviendra cependant pas à offrir une compilation homogène des airs de l’opéra, la faute à une trop grande liberté du chef empêchant les instrumentistes de trouver un commun accord sur les départs et les superpositions ternaire / binaire du thème du Destin, ainsi qu’à une balance trop polarisée entre aigus et graves. Dans l’accompagnement du chant, aucun faux pas n’est à déclarer, l’euphorie moelleuse et le drame impétueux reprennent leurs droits, comme alter ego des personnages.

C’est là que Sonya Yoncheva entre en scène. Son timbre aisément reconnaissable enfouit des masques interchangeables d’un air à l’autre, construits en un art théâtral savamment dosé. À l’exception de quelques aigus un peu rêches, d’attaques en ports de voix trop répétitifs et de tempi parfois tassés, elle conquiert en osant une charge dramatique directe. Chaque prestation est un fil que l’on suit les yeux bandés, sans savoir comment ses contours vont s’énoncer. Sa Leonora du Trouvère, qui ouvre le récital, porte un épanchement d’expressivité croissante, partant d’une froideur mate (et d’une cadence sèche) et s’extériorisant jusqu’à l’exaltation avec des notes piquées amorties, au contact d’un orchestre empli de passion. L’autre Leonora (celle de La Force du Destin) met sous le feu des projecteurs des graves bouleversants et des lignes legato imprévisibles car rompues à l’envi en un instant. En Luisa, son chant « dérythmé » se combine audacieusement avec le jeu « surrythmé » élancé par Daniel Oren. Elle sait captiver en quadrillant la résonance comme un buvard sur une nappe flanquée d’un son répandu, et émet des pianissimi en fusion.

Inviter son frère Marin Yonchev sur deux airs et un bis n’était pas nécessairement pertinent. Le ténor est appliqué et plein de bonnes intentions en s’attachant à la beauté du phrasé, seulement il s’avère dénué de relief. Dans le duo final « O mia Violetta… Parigi, o cara… O gran Dio, morir si giovine », il souffre forcément la comparaison avec son aînée : le souffle pèche, la projection s’est éclipsée.

Eh bien voilà, Sonya Yoncheva est comme Martine : la grande sœur modèle, un peu intimidante quand on partage les plus grandes scènes avec elle, mais loin d’être indigne  avec son protégé !

Thibault Vicq
(Montpellier, le 29 mai 2018)

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading