Le Songe d’une nuit d’été à Montpellier : scène amorphe, voix pimpantes

Xl_oonm_britten_le_songe9_marc_ginot ©Marc Ginot

Un parfum britannique déploie son sillage dans les maisons d’opéra françaises depuis le début du printemps. Après Into the Little Hill à l’Athénée (puis Lessons in Love and Violence du même tandem George Benjamin – Martin Crimp à l’Opéra national de Lyon à la fin du mois) et Les Hauts de Hurlevent à Nancy, c’est au tour du Songe d’une nuit d’été, de Benjamin Britten, de se voir octroyer une version scénique à l’Opéra national Montpellier Occitanie (en coproduction avec la Deutsche Oper Berlin). Le compositeur a été le premier à concrétiser un ouvrage lyrique à partir de la comédie de William Shakespeare, dans laquelle la féerie se fait complice des rebondissements.

Nous nous demandons à ce sujet où est passée la magie dans la mise en scène de Ted Huffman, à part dans le budget fumigène et dans les essais parfois concluants de lumières généralement maladroites. Niveau décors, c’est le vide sidéral, hormis des échelles, un bout de lune et des nuages roses çà et là. Ce qui fait tiquer n’est pas tant la nudité du plateau qu’une obsession esthétisante – du Robert Wilson répliqué, l’unité en moins – menant à l’effondrement d’une dramaturgie déjà inerte. La représentation pastichée de Pyrame et Thisbé par la troupe de Bottom, au dernier acte, comble enfin le manque substantiel de théâtre qui se répétait inlassablement jusqu’alors. Las ! La pièce antique, jouée avec des marionnettes géantes par des comédiens affublés d’une cagoule de braqueur et d’une combinaison légère, est d’une lourdeur à faire perdre patience. Nous retiendrons cependant la poésie cultivée par Puck, personnage volant malicieusement interprété par Nicholas Bruder. Quand l’empilement choral des histoires se déguste plaisamment dans la pièce, Ted Huffman a tendance à trop différencier les trois univers des fées, des comédiens et des amants. L’impression qui se dégage est celle d’un temps de parole partagé, comme dans un débat politique : tous auront existé et obtenu leur quart d’heure de gloire, sans toutefois aller au bout de leur discours. Les interactions entre les mondes ne s’encombrent ici d’aucune mise en perspective, elles arrivent parce qu’elles doivent arriver. Ces figures ne sortent jamais de leur cadre de personnage de théâtre, elles demeurent confinées à leur rôle et ne peuvent nullement s’affranchir de leur condition.

L’exercice en circuit fermé ne sape pas les efforts des chanteurs. Florie Valiquette dessine une Tytania véloce et gracieuse, un mois après son triomphe dans Le Postillon de Lonjumeau à l’Opéra Comique. La précision est de mise, quoique certains enchaînements gagneraient à se désautomatiser pour couler de source. Le contre-ténor James Hall est un Oberon impeccable et accompli, déclamant ses vers en une progression musicale captivante. Suspendu au-dessus d’une toile instrumentale en plein tissage,  il enchaîne les prises de sa varappe vocale avec une sérénité et un enthousiasme notables. Autre grande prestation de la soirée : le Bottom fonceur de Dominic Barberi. Ce dernier aborde la férocité et le comique sur la base commune de l’analyse du verbe shakespearien, et les inflexions immersives bourgeonnent l’une après l’autre à plusieurs vitesses, sans routine. Daniel Grice, Nicholas Crawley, Paul Curievici, Colin Judson et Nicholas Merryweather raffermissent globalement de tonus et de souplesse les qualités de la troupe de théâtre improvisée. Roxana Constantinescu prête son timbre poudré à Hermia dans un condensé sensible, pendant que Marie-Adeline Henry (Helena) mise malheureusement moins sur l’écoute des instrumentistes et fixe moins habilement ses intentions musicales. Lysander (prise de rôle de Thomas Atkins) possède un art fourni de la gravure sonore et exaltée, et Demetrius (Matthew Durkan) projette par sa voix et sa présence scénique la bonhomie du personnage. Le Chœur Opéra Junior – Classe Opéra, composé de jeunes de la 6e à la 3e, exécute sa tâche avec beaucoup de professionnalisme, surtout pour une musique si exigeante.

En fosse, l’Orchestre national Montpellier Occitanie s’investit sans témérité excessive dans la partition, mais assure avec application l’unité de chaque pupitre. Tito Muñoz en obtient de nombreuses couleurs, faisant office de troisième pilier, en plus du livret et du chant. S’il plante des décors imaginaires sur l’espace indigent du plateau à partir du conducteur, il ne parvient pas toujours à rassembler ces cadres musicaux morcelés. Or, la rencontre avec l’œuvre a bien lieu, les mains dans le cambouis, et les difficultés techniques se remarquent aisément dans les baisses de régime, comme les multiples solos de trompette et les glissendi de cordes non-entièrement contrôlés. Les passages à une écriture plus « convenue » montrent l’étendue du savoir-faire de l’orchestre et du chef.

Trop penser revient peut-être à tuer la magie. Les sorts qui nous étaient destinés n’ont pas touché leur cible. « Si nous avons déplu, figurez-vous seulement (et tout sera réparé) que vous n’avez fait qu’un somme », conclut Puck. La nuit porte conseil…

Thibault Vicq
(Montpellier, le 8 mai 2019)

Jusqu’au 12 mai 2019 à l’Opéra national Montpellier Occitanie (Opéra Comédie)

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