Le chef Daniele Callegari triomphe de La Bohème à l’Opéra Nice Côte d’Azur

Xl_photo10 © Dominique Joussein

La Bohème est affaire de souvenirs, tant pour son déroulement que pour ses représentations.

Trois ans après nous en avoir concocté une bouleversante interprétation à l’Opéra de Monte-Carlo, le maestro Daniele Callegari remet le couvert à l’Opéra Nice Côte d’Azur, pour une mirifique carte postale sonore que nous ne sommes pas près d’oublier. Avec un Orchestre Philharmonique de Nice éminemment souple aux changements de tempo et de couleurs, il compose une matière de conte de fée macabre dans un mouvement d’extériorisation de l’ombre tapie vers une lumière irisée. La palette s’assortit en outre de reliefs d’un rêve oublié. Le chef est un géomètre des cratères et des vallons de la mémoire. Les tutti font frémir de leur liberté, la musique se déploie en ondes aquatiques, comme un brouillard en dilution dans le jour éclatant. En dedans, en dehors, en mouvement, gazeuse et tellurique, la musique provenant de la fosse fait vivre les vignettes de Puccini à fond les ballons.

Des expériences passées, il y en a aussi dans la mise en scène de Kristian Frédric, qui transpose l’œuvre entre 1991 et 1993, dans les années SIDA. Un siècle après la tuberculose, le VIH est le mal qui rompt les communautés et les espoirs d’un avenir meilleur. Une analogie plutôt bien vue, où la même insouciance est frappée du même coup de massue viral. Mimì n’est plus la seule concernée ; le système immunitaire de Marcello vacille lui aussi. Kristian Frédric souligne ainsi à raison l’importance du noyau dur des potes de toujours, en particulier dans la deuxième partie. Parpignol, ici avatar de la Mort, gagne en consistance, traînant des poubelles et une poupée qu’il présente à plusieurs reprises à Mimì. L’héroïne vériste annonce d’ailleurs avec poésie et pudeur, à travers cette effigie enfantine, sa rupture avec Rodolfo. Toutefois, nous luttons pour croire à cet amour opératique. Les duos omettent les regards, le désir soudain, les jeux du toucher. Les liesses amicales sont d’un ennui à peine dissimulé. Où est passée la saveur de la jeunesse, et de vouloir réformer le monde ? Pour le changement de décor entre les deux premiers actes, Freddie Mercury arrive comme un cheveu sur la soupe : une vidéo reprend des extraits d’interview où il dit ne pas regretter d’avoir profité à fond. S’affiche ensuite un portrait du chanteur de Queen, peu à peu rongé par la pellicule. Le désagréable effet sonore d’alarme qui est associé à ce moment interminable donne l’impression d’un problème technique. Les hurlements – nous n’exagérons rien –, « Basta », « Che escandalo » et huées excessives ne se font pas attendre dans la salle. Ce médiocre effet d’image – et surtout réducteur : pourquoi « artiste » et « SIDA » doivent-ils forcément déboucher sur Freddie Mercury, qui de surcroît n’avait à la fin de sa vie pas la même situation pécuniaire que Mimì et Rodolfo ? – fera place, dans la seconde partie, à des témoignages audio poignants de patients découvrant leur séropositivité. Pourquoi pas, mais Kristian Frédric ne va pas jusqu’au bout de ses intentions, pour un résultat somme toute classique, voire trop fidèle. Tellement persuadé d’avoir proposé un chef-d’œuvre incompris de mise en scène, il recrache face public, dans un geste de défiance puéril, les pétales d’une rose rouge tout juste saisis en bouche lors des saluts (pourtant très peu hostiles)...


La Bohème, Opéra Nice Côte d'Azur (c) Dominique Joussein

Au sein de la distribution, Mimì et Rodolfo ont du mal à se positionner expressivement. Soit peu dirigée, soit actrice maladroite, la soprano Cristina Pasaroiu ne tente d’émouvoir qu’avec sa voix bien posée, quoique hachée et peu phrasée. Le concours d’instantanés ostensibles débouche à long terme sur une incarnation chétive. Si la perfection technique et la fluidité exceptionnelle caractérisent le ténor Oreste Cosimo, celui-ci est malheureusement dépourvu de camaïeux et de dégradés. Nous aurions aimé saluer vivement la performance, mais ses lignes trop constantes n’ont pas réussi à nous emporter. C’est du côté de Marcello et Musetta que l’impact lyrique fait son nid : les effusions exceptionnelles et la majesté de Serban Vasile nous touchent profondément, à l’instar des vocalises étincelantes et des murmures Pietà-compatibles de Melody Louledjian. Avec une projection moins extrême et des nuances, Jaime Eduardo Pialli ferait un excellent Schaunard. Andrea Comelli, Colline aux interventions un peu trop enrobées, et Richard Rittelmann (Benoît), propre et tranché, complètent la distribution, avec le vigoureux Chœur de l’Opéra de Nice et un Chœur d’enfants de l’Opéra Nice Côte d’Azur bien préparé.

Quelques impressions musicales et visuelles en bouteille jusqu’à la prochaine Bohème !

Thibault Vicq
(Nice, 31 mai 2023)

La Bohème, de Giacomo Puccini, à l’Opéra Nice Côte d’Azur jusqu’au 6 juin 2023

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading