L’Académie de l’Opéra national de Paris et L’Échelle de soie (de Rossini), le rythme dans la peau

Xl_la-scala-di-seta-par-l-academie-de-l-onp---vincent-lappartient---j-adore-ce-que-vous-faites----onp--17-.jpg-1600px © Vincent-Lappartient - J-adore-ce-que-vous-faites - OnP

On ne répétera jamais assez que le rythme constitue la clé de voûte de l’attirail comique rossinien. Avec sa production francilienne annuelle hors-les-murs, l’Académie de l’Opéra national de Paris en donne la preuve avec La scala di seta (L’Échelle de soie) – œuvre peu programmée, qu’on avait précédemment applaudie à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège en 2016 – dans une parure scénique et musicale d’une franche réussite, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet.

Pour l’intrigue, on dispose de tous les ingrédients qui permettent à la musique de sautiller, voltiger et émouvoir : les deux jeunes époux (secrets) Dorvil et Giulia tentent de faire échapper cette dernière à un mariage arrangé avec le volage Blansac, qui a pourtant le profil pour filer le parfait amour avec Lucilla, cousine de Giulia. Le valet Germano va semer la zizanie, en croyant que Giulia puisse être sienne… La « liane » de draps en soie, par laquelle Dorvil rend visite chaque soir à Giulia, réunira tous les protagonistes dans un finale savoureux et évidemment heureux !

Dans un astucieux décor resserré de demi-chambre (par Caroline Ginet), les personnages voient, épient, entendent, se cachent et jouent pour de vrai, sur le parquet, dans les placards ou derrière le miroir sans tain, munis de fastueux costumes expressifs (Sabine Schlemmer). Les regards millimétrés sont au cœur de la mise en scène énergisante de Pascal Neyron, qui utilise ces espaces et recoins comme de nouvelles extrémités psychologiques. En résulte un vaudeville désopilant aux touches surréalistes. L’ennui est interdit, le bonheur théâtral atteint des sommets. La direction des personnages ne sert pas uniquement la farce, mais aussi les sentiments en temps réel. Car la drôlerie naît forcément de l’opposition avec la gravité, ce que Pascal Neyron retranscrit à la perfection avec un plateau vocal qui témoigne encore du nez de l’Académie de l’Opéra de Paris.


La scala di seta - Académie de l'Opéra national de Paris (c) Vincent-Lappartient / OnP

Margarita Polonskaya, dans la peau de Giulia, concocte un irrépressible élixir appuyant une sorcellerie de la texture, à partir de vocalises à la fois flegmatiques et lascives. Elle personnifie une partie d’échecs entre démons intérieurs et tendresse, juxtaposée par des entraînants récitatifs menés à la juste vitesse comique. C’est à travers son seul phrasé que l’atmosphère générale s’adoucit, tergiverse ou s’envenime, en véritable maîtresse du tempo musical et théâtral. Laurence Kilsby choisit la portée des sentiments plutôt que l’esbroufe virtuose. Son Dorvil, modèle de constance au légato cocooning, allège ses aigus miellés à mesure qu’il monte vers les cieux de sa tessiture, ce qui ne l’empêche nullement de s’accomplir en haute voltige solfégique. Avec Germano, l’exceptionnel Yiorgo Ioannou possède enfin un rôle à la hauteur de ses innombrables qualités. Lui aussi traverse par sa technique l’intégralité du spectre dramaturgique : il concrétise les visions, sublime la piété feinte, intériorise la déception, fait éclater la colère par le prisme de son statut de valet. Il porte une empathie qui rend ce protagoniste essentiel. Son timbre arc-en-ciel et son souffle inépuisable façonnent une ligne vallonnée et splendide, calculée à la double croche près, dans laquelle la créativité des appuis triomphe des changements métronomiques et de caractère. Si Alejandro Baliñas Vieites parvient à garder une égale largeur à un son déjà bien charpenté, le manque de nuances lui fait passer à côté de quelques facettes plus subtiles de Blansac. Le volume de l’émission l’entraîne également vers des imprécisions qui amenuisent sa confiance du mouvement physique. Le chant de Marine Chagnon déborde de sourire malicieux pour une Lucilla rayonnante jusque dans la pulpe même de ses couleurs, et Thomas Ricart défend de robustes interventions.

Avec les instrumentistes académiciens et l’Orchestre-atelier Ostinato, réunis en fosse, la cheffe Elizabeth Askren sait conserver le flow rossinien sur la durée. L’avancée harmonique se construit à pas de matou, à l’égale proportion des stratégies amoureuses, puis trouve rapidement un balancier d’horlogerie vivifié par le tic-tac maîtrisé des modulations. La gestion des équilibres réduit en revanche parfois l’impact de la partition, car le « contenu » ne suit pas toujours la confiance avérée de la maîtrise rythmique. Les prises de parole parfois ferrugineuses du violon solo (dues aussi à un arrangement quelquefois assez « nu ») et la justesse éparse trahissent de rares moments où la musique perd en « collectif ». Ce n’est pas cela qui empêche le Cygne de Pesaro de faire mouche encore une fois, grâce à une équipe comme on aimerait en voir plus souvent !

Thibault Vicq
(Paris, 29 avril 2023)

L’Échelle de soie (La scala di seta), de Gioachino Rossini, à l’Athénée Théâtre Louis-Juvet (Paris 9e) jusqu’au 6 mai 2023

N.B. : alternance avec une distribution composée de Boglárka Brindás, Seray Pinar, Kiup Lee, Andres Cascante et Andriy Gnatiuk

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading