La Traviata inaugure efficacement à Paris le concept Opera a Palazzo

Xl_dscf3430 © Thibault Vicq

Opera a Palazzo lance à Paris – après Venise – l’expérience sélecte d’une soirée lyrique en petit comité dans une somptueuse demeure. C’est La Traviata, en effet opéra d’intérieur, où l’action se déroule dans une succession de salons parisiens ou franciliens, qui lance le bal. La place Saint-Georges est relativement connue des habitants du quartier de la Nouvelle Athènes, dans le désormais cossu 9e arrondissement, mais les bâtiments qui la bordent ne sont que très rarement accessibles au public. L’Hôtel Dosne-Thiers abrite notamment une bibliothèque dédiée à l’histoire de France entre 1789 et 1920, clairement moins fréquentée que celle du Centre Pompidou ou que la Bibliothèque Saint-Geneviève ! Le concept de faire revivre les salons musicaux et la mise en situation de l’œuvre à « échelle humaine » fonctionne bien, même s’il faut toutefois mettre la main au portefeuille. 350€ pour une représentation, cela revient bien plus cher que la place Optima de l’Opéra national de Paris (jusqu’à 231€, hors Nouvel An).

La situation est en revanche incomparable. Place Saint-Georges, une visite des lieux est organisée avant le début de la représentation. Pendant que la conférencière nous évoque la vie romantique – dont le musée du même nom se trouve à quelques rues – et les débuts pré-haussmanniens de la IIIe République, on entend les chanteurs s’échauffer dans les pièces attenantes et le parquet grincer, comme à la maison. Dans les couloirs, on peut saluer le buste de Joséphine de Beauharnais.


La Traviata - Opera a Palazzo (c) Denis Mareau

On est accompagné vers le « salon vert », le premier décor de cette Traviata réduite à trois personnages (Violetta, Alfredo et Germont) et trois instrumentistes (piano, violon, violoncelle). Sous les moulures et les dorures, les musiciens interprètent le prélude langoureux, avant que ne retentisse le « Libiamo ». Pour arriver à une durée de 2 heures, entracte compris, il fallait faire quelques coupes dans le chef-d’œuvre de Verdi. Annina apparaît comme figurante muette, mais chaque spectateur fait partie des fêtes dépeintes dans l’œuvre. Le drame se compacte, on en retient l’essentiel, et on peut saluer la fluidité de l’adaptation. À la fin du I, on est invité à rejoindre le salon Thiers, au rez-de-chaussée. À gauche, derrière les volets fermés, des enfants jouent dans le square attenant. À droite, on voit quelques voitures passer et les vélos batailler pour monter la rue Notre-Dame-de-Lorette. On est embarqué dans une réalité non pas virtuelle, mais plutôt alternative, cernée par le réel, avec sa propre temporalité. Avant que l’acte ne s’achève, on annonce l’entracte, arrosé de champagne rosé. On retourne dans le « salon vert » pour la dispute entre Alfredo et Violetta (le fameux jeter de billets), puis on se rend à nouveau dans le salon Thiers pour la fin de vie de la demi-mondaine, avant de conclure la soirée par un cocktail dans le jardin, en compagnie des artistes.

Dans ce décor « naturel » digne du Metropolitan Opera, tout est criant de vérité. Plutôt que de parler d’interprétation des solistes, il faut souligner la vérité de l’incarnation, c’est-à-dire d’avoir pu s’adapter à des espaces pour y reconstituer l’histoire connue de tous. Évidemment, la tâche de trouver un hôtel particulier datant exactement de l’époque de l’action de La Traviata (1850) relève du pinaillage, mais la Fondation Dosne-Thiers ayant été construite jusqu’en 1875, l’anachronisme à vingt ans près ne devrait pas faire bondir les puristes. En Italie, le choix d’un opéra en italien s’impose de lui-même, alors que pour la France, trouver un opéra français suffisamment populaire et adapté à des salons du XIXe est une tâche plus ardue. On voit mal Carmen en robe de cocktail avec un Don José en smoking. Manon se prêterait bien à ces espaces, mais synthétiser l’œuvre n’est pas une mince affaire. La Traviata est donc ici chantée en italien – un livret est distribué au public pour suivre le cours des dialogues – mais il s‘agit ici d’un autre rapport à la représentation.


La Traviata, Opera a Palazzo (c) Thibault Vicq

Cet Opera a Palazzo en est encore à la « version COVID » à Paris : si Violetta ne s’évanouit pas dans les bras des spectateurs, l’eye contact et la proximité font toutefois vivre une expérience immersive unique. Alors oui, la réduction d’orchestre pour trois instrumentistes paraît parfois un peu vide (malgré un engagement consistant de Philip Richardson, Anne Balu et Carlotta Persico, le jour du spectacle), mais elle incite les chanteurs à davantage de soutien, et à surtout à faire dominer leurs lignes mélodiques. La voix est génératrice de théâtralité. Armelle Khourdoïan est une fantastique Violetta, gagnée d’une fièvre de culpabilité dès le premier acte. Elle se nourrit du public dans la moindre phrase, dispense une leçon de souffle dans « Addio del pasato », et expire dans l’amour de l’art. L’Alfredo sans filtres de Christophe Poncet de Solages s’avère particulièrement émouvant et soutenu, à part peut-être dans les nuances piano, qui le mettent parfois en difficulté. Bien que le très beau timbre de Laurent Alcaro soit usité à des fins d’une superbe musicalité, le baryton semble un peu trop extérieur à l’action, surtout en comparaison avec le plein engagement de la soprano.

À titre personnel, on préfère l’expérience collective dans une grande salle, en compagnie de centaine d’inconnus embarqués dans la même aventure du théâtre et de la scène, au parterre comme au poulailler. L’opéra se doit-il de montrer la réalité ? Vaste débat. L’essence du chant retrouve cependant une pureté salvatrice dans ces salons.

Thibault Vicq
(Paris, 7 juin 2021)

La Traviata, de Giuseppe Verdi (adaptation), à l’Hôtel Dosne-Thiers (Paris 9e) jusqu’au 9 juillet 2021. Infos et réservations sur le site d’Opera a Palazzo

N.B. : autres distributions avec Émilie Rose Bry / Aurélie Loilier (Violetta), Matthieu Justine / Thomas Ricart / Mathieu Septier (Alfredo), Benoît Gadel / Jiwon Song / Timothée Varon (Germont), Yuko Osawa / Katia Weimann (piano)

Crédit photo (c) Thibault Vicq

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