Juan Diego Flórez et le Sinfonía por el Perú Youth Orchestra euphorisent le Lucerne Festival

Xl_juan_diego_florez-sinfoniaperu_yo_gonzalezmonjas-220902_c_peterfischli_lucerne_festival © Peter Fischli/Lucerne Festival

Si les instants fraîcheur et les explosions de saveurs clamées tous azimuts par la publicité varient dans leur véracité lors de la consommation réelle, Juan Diego Flórez a tenu ses promesses pour son troisième concert avec le Sinfonía por el PerúYouth Orchestra et Roberto González-Monjas au Lucerne Festival (après le Festival de Salzbourg et le Gstaad Menuhin Festival). Standing ovation.

D’abord, le Festival réussit son pari autour la diversité, son grand thème 2022. Le programme de la soirée démarre prudemment avec Rossini, Donizetti et Verdi, puis se tourne dans sa deuxième partie vers l’Espagne (Carmen et la zarzuela) et l’Amérique latine. Le public du KKL Luzern, tiré à quatre épingles, n’a eu d’autre choix que de décerner un triomphe aux artistes sur scène pour l’énergie communicative insufflée à la salle. Le ténor péruvien va même jusqu’à interpréter en bis un medley de chansons en espagnol, dont Piel canela, Guantanamera, Yo soy un hombre sincero, invitant le public à danser (« Wir tanken? »). Si ses compatriotes se prêtent volontiers au jeu, le qualifiant à haute voix d’ « orgullo por el Perú » (« fierté pour le Pérou »), il faudra attendre encore un peu avant que les autres spectateurs du Festival s’affranchissent de leur retenue.

Qu’à cela ne tienne, les 150 instrumentistes issus des centres de musique Sinfonía por el Perú – organisation fondée par Juan Diego Flórez en 2011, sur le modèle vénézuélien d’El Sistema – s’en donnent à cœur joie, en particulier dans la deuxième partie, où les problèmes d’équilibre se résolvent tout naturellement. Il faut dire que les trente premières minutes ne partaient pas forcément sur de bonnes bases. Roberto González-Monjas dirige Rossini comme de la circulation trop rapide de vaisseaux sanguins, qui par son surplus de vitalité (un peu grognonne, au demeurant), sape les efforts sur la lumière à adopter dans cette musique. En jouant l’ouverture du Barbier de Séville comme celle du Vaisseau fantôme de Wagner, la désinvolture se transforme en grossièreté, sans compter que le tempo est étrangement géré. Les bois ont des entrées toujours un peu brusques sur Donizetti, mais la chevelure cordée de la harpe est rejointe magnifiquement par des pizzicatos valeureux. C’est avec les cuivres hardis de Macbeth (Verdi) que le chef commence à bien aménager les textures et les motifs. Ces pièces qui ne demandent qu’à s’assembler sont mises sur la table dans la Danse bohème de Carmen, et à partir d’Adiós Granada, tous ont trouvé leur vitesse de croisière. Roberto González-Monjas lève le doute des musiciens et s’oriente vers plus d’audace et de style, tout en faisant chanter ce répertoire par l’orchestre. L’Intermezzo issu de La boda de Luis Alonso o La noche del encierro (Giménez y Bellido) est un splendide feu d’artifice, non pas juste de la capacité de la formation à « faire du son », mais à lire entre les lignes et à sublimer les changements de caractère. La baguette et la battue se mettent elles aussi en position d’action pour raconter quelque chose par le mouvement. Le langage corporel éloquent fédère par la suite toutes les pièces, créant une harmonie dans la profondeur des contrastes, et dans la séparation consciente des parties : un référentiel neuf est officialisé. L’explosion de saveurs a bien eu lieu, et les talents variés des musiciens (une contrebassiste danseuse, un cajónsolo…) ont encore plein de surprises à offrir.

Juan Diego Flórez est toujours une promesse à lui seul. Sa voix est comme la récompense totem des attentions comblées, un clafoutis qui sort du four, la première cuillérée d‘un soufflé mousseux tout juste servi. L’onctuosité du phrasé se marie avec l’habileté à ne jamais trop en faire, à tout faire couler de source. Alors oui, il est parfois peu audible avec cet orchestre souvent fort, il est un peu scolaire dans ses deux premiers airs, mais sur Una furtiva lagrima (L’Élixir d’amour) il définit son abécédaire de la mesure, et c’est en Alfredo (La Traviata) naïf et aimant qu’il abolit les frontières de l’indicible. Le public n’attend que lui ; il incarne un personnage sophistiqué qui se donne du mal à impressionner sa maîtresse. Dans La Fleur que tu m’avais jetée, on décèle un handicap (de phrase ou de prosodie ?) n’empêchant cependant à aucun moment la téléportation vers des portails de sonorités hors du commun. Le corazón ne crie point famine dans la zarzuela : immense chez Serrano, à l’acrobatie souple sous les arcades harmoniques de Barrera et Calleja Gómez, ultra-expressif du côté de chez Rojas Enríquez et Hurtado Ángel. Et cette voix lumineuse, fluorescente, irradiante, reconnaissable entre toutes, entame un désormais traditionnel « Nessun dorma » de Turandot (voir nos comptes-rendus depuis la Philharmonie de Paris ou les Rencontres Musicales d’Évian) en premier bis, suivi par un mambo orchestral d’enfer, le medley précité et un tonnerre d’applaudissements au KKL Luzern. Un instant fraîcheur, on vous dit.

Thibault Vicq
(Lucerne, 2 septembre 2022)

Récital Juan Diego Flórez - Lucerne Festival, 2 septembre 2022

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