Iolanta, aveuglément technique à la Philharmonie de Paris

Xl_dscf1925 © Thibault Vicq

La saison dernière, Valery Gergiev était venu diriger la Tétralogie à la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre et le Chœur du Théâtre Mariinsky sur deux week-ends. La thématique « Saint-Pétersbourg » de ces 21 et 22 septembre à l’institution de la Villette se prêtait tellement bien au retour du maestro russe que les mêmes invités ont été conviés pour deux opéras : Iolanta et Parsifal. L’ultime ouvrage lyrique de Tchaïkovski, créé en 1892 en diptyque avec le ballet Casse-noisette, met son héroïne aveugle face à la révélation divine. Au lieu de considérations philosophiques, les interprètes et le maestro gonflent les pectoraux : le « toujours plus fort » et le « toujours plus loin » transforment cette version de concert en une fatigante et frustrante séance de culturisme musical.

Un constat qui se répète à mesure de représentations est l’admirable performance de l’Orchestre du Théâtre Mariinsky. La netteté de chaque note se déguste dans les volumes de la Grande salle Pierre Boulez, les jeux de strates se répondent merveilleusement par des pupitres au sommet de leurs moyens. Les entités sous un seul bouclier, les attaques franches et assumées démarrent des promenades tournoyantes sur une partition à haut risque. Valery Gergiev n’utilisera ces outils luxueux à bon escient que dans l’ouverture dans un réseau de nervures aspirantes. La suite ne laisse que le souvenir de miniatures brillamment exécutées, quoique dans un son clinquant, et avec un manifeste manque de cohésion. Les déséquilibres vents-cordes, les basses proéminentes et même les harpes cavalières accumulent les décibels inutiles. Les notes ne naissent pas, elles crient soudainement ; les symboles portés par l’opéra ne trouvent jamais d’assistance dans cette direction trop symphonique, dans cette approche froide et ostentatoire des traits orchestraux.

Irina Churilova (Iolanta) alimente le concours d’aptitudes en voulant montrer qu’elle est audible dans l’intégralité de la salle du 19e arrondissement. Les brusques pincements d’aigus font discontinuer une ligne de chant pourtant enveloppée d’un sfumato bienfaisant, proche de la pureté du rôle. La soprano se laisse piéger par la peinture du temps présent en traînassant derrière les instrumentistes et en esquissant trop spécifiquement les contours cotonneux de la moindre note. Les voyelles se perdent en chemin, la justesse aussi. La Martha de Natalia Evstafieva, disposant d’un matériau souple, cherche aussi à donner de la voix, pour un rendu finalement sévère. Pas de démonstration de force pour Evgeny Nikitin, dont l’interprétation nasillarde, aléatoire et rarement placée, du médecin Ibn-Hakia, semble être un chemin de croix. Najmiddin Mavlyanov incarne un Vaudémont prince charmant manquant de direction lyrique. Avec davantage de gras dans les transitions, le tout paraîtrait moins haché, et incontestablement plus émouvant. Si l’autre ténor, Andreï Zorin a du mal à convaincre en Alméric tristounet, deux basses et un baryton font sortir de la torpeur. Yuri Vorobiev campe un Bertrand grandiose et hypnotique, auteur d’un environnement sonore unique. Alexey Markov (Robert) et Stanislav Trofimov (le Roi René) illuminent la soirée. Le premier partage sa projection joyeuse sans réserve en un courant vigoureux, submergeant de sa palette exceptionnelle les flots orchestraux. Le second rend compte avec un soutien insubmersible d’un jeu d’échecs géopolitique et psychologique, illustré par un superbe rubato très russe, hors des cases. Les graves et le medium tendent à desserrer la vis vers le dénouement, mais la conscience substantielle de la phrase triomphe. Kira Loginova et Ekaterina Sergeeva sont de gracieuses Brigitta et Laura, bien intégrées aux ensembles avec chœur. Ce dernier soigne ses forte, tandis que les piano surprennent par leur imprécision, à l’instar des chants de supporters dans les matchs sportifs. Quand le Mariinsky vient  à Paris, on assiste à la même chose : la concrétisation d’un entraînement de feu, des applaudissements à tout rompre. La performance suivante est déjà dans les clous.

Thibault Vicq
(Paris, le 21 septembre 2019)

Crédit photo © Thibault Vicq

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