
Ce 6 juin, une nouvelle Aïda de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz précédait de quelques mois ses (au moins) deux saisons et demie hors-les-murs, dans une date unique au Stade Saint-Symphorien, devant huit mille personnes (soit plus de dix fois la jauge de la maison messine). Des conditions jamais vues dans le Grand Est ! On pourrait parler d’ouverture des publics, de perspective différente pour appréhender l’art lyrique, de démystification de l’institution opératique pour pouvoir découvrir le répertoire, mais on demeure un peu embêté en tant que critique d’opéra. Déjà parce que la distance depuis les gradins amenuit l’implication des spectateurs avec la scène. Ensuite, car la sonorisation à micros (certes comme dans des œuvres de théâtre musical, mais à une échelle bien plus large), permet difficilement d’évaluer le rendu final. L’Orchestre national de Metz Grand Est, initialement prévu en extérieur, entre la scène et les gradins (dans une seule des quatre tribunes du stade), a dû, indépendamment de la volonté de l’Opéra, se rapatrier dans une tente, à l’abri des conditions météorologiques incertaines (et donc des regards), laissant leur présence réduite à un retour son et à des écrans moniteurs pour les chanteurs. Un petit crachin accompagne la moindre phrase diffusée depuis les hauts-parleurs, les graves prennent toute la place dans le mixage tandis que le mélange des voix s’avère impossible, tant l’adjonction d’une ligne de chant à une autre voue l’une des deux à être phagocytée dans les limbes des intermédiaires sonores.
Depuis les streamings COVID où on ne savait même plus ce qui relevait des qualités musicales ou des talents des ingénieurs du son, on n’avait pas été aussi impuissant et désemparé face à une exécution d’opéra. Le chef Paolo Arrivabeni relève-t-il le défi d’Aïda ? L’Orchestre national de Metz Grand Est est-il impliqué dans la musicalité verdienne ? À part pour les solos aériens du hautbois, on ne saurait le dire, tant le résultat craquelé, saturé, déséquilibré, fait grincer des dents. Les intermèdes orchestraux donnent sans doute davantage de latitude aux oreilles, même si les dynamiques, les stratifications instrumentales et l’articulation passent à la trappe. On note une certaine mollesse dans la marche triomphale et le ballet associé – celui-ci, au demeurant, est plutôt efficace – et une apparente subtilité au premier acte, mais pour le reste, joker, on est absolument incapable d’en parler. Même incertitude pour la réunion du Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, le Chœur de l’Opéra national de Lorraine et de « chœurs supplémentaires », qui semble assez feutrée et apaisante dans le premier tableau, avant d’être auditivement prisonnière de la despotique recette de sonorisation.
Au sein de la distribution, moins affectée par ces soucis, on peut déceler un peu plus les caractéristiques de chacun. La sensible Aïda d’Elena O'Connor (entendue dans le rôle aux Chorégies d’Orange en 2017) fait preuve d’une ductilité pudique et d’un art du phrasé qui balaye et bouleverse. Elle reste attentive à la conjugaison électromagnétique des notes, dans une spirale qui s’enlace sur elle-même. En Radamès, Marcelo Álvarez ne fait jamais semblant. Il s’interdit l’artifice (sauf peut-être un « Addio terra » final un peu naïf, déroulé telle une comptine), plein d’engagement et de rage partagée, avec un timbre brillant consciencieux du sens du texte. Avec Emanuela Pascu, Amneris chante la rage épanchée et l’amertume effusive. Elle troque le pathétisme pour une bravoure de dignité et un impact d’émotion ressentie. L’élégance de Massimo Cavalletti (Amonasro), issue de l’efficacité directe de la phrase, et l’aplomb de Mischa Schelomianski (Ramfis), droit dans ses bottes, participent à l’autorité des personnages de patriarches, au contraire du Roi de Giovanni Furlanetto, totalement dépourvu de soutien et de souffle.
On peut se dire qu’on peut juger la mise en scène avec davantage d’objectivité que la partie musicale, sauf que la promesse de Paul-Émile Fourny n’est « grandiose » que sur le papier. Le décor de soixante mètres de long est traité avec le même manque de substance qu’une production très à l’ancienne dans un théâtre clos : direction d’acteurs aux abonnés absents, poses tellement fixes et éclairages tellement sommaires qu’on ne sait jamais qui prend la parole – un comble quand la grande distance entre les gradins et la pelouse complexifie la reconnaissance visuelle des personnages – dans cette débauche de beaux costumes. Des animations vidéo peu signifiantes sont diffusées sur un écran, comme sont déplacés des éléments égyptiens miniatures (obélisque, temple, masque funéraires, trônes…) sans grande logique à part celle de créer de nouveaux espaces de jeu, qui ni ne suscitent pour autant un intérêt extrême ni créent un accompagnement de spectateur dans la compréhension du récit.
Est-ce de l’opéra ? Est-ce vraiment Verdi ? On s’est en tout cas autant ennuyé, senti « en dehors », que devant un match de base-ball, mais on espère sincèrement que les conditions de représentation et l’archaïsme de la mise en scène n’aient pas rebuté les nouveaux publics pour pousser les portes d’un théâtre lyrique.
Thibault Vicq
(Longeville-lès-Metz, 6 juin 2025)
Aida au Stade Saint-Symphorien de Metz avec l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz
08 juin 2025 | Imprimer
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