Dialogues des carmélites en crescendo à l’Opernhaus Zürich

Xl_dialogues_des_carm_lites_-_opernhaus_z_rich__c__herwig_prammer_3 © Herwig Prammer

Plutôt rare sur les scène hexagonales, Dialogues des carmélites engendre forcément une vive curiosité lorsqu’il est présenté hors de France, comme à Stockholm en 2019 ou actuellement à l’Opernhaus Zürich. La nouvelle production de Jetske Mijnssen n’apporte pas particulièrement de regard d’ensemble à l’œuvre, mais occasionne quelques moments percutants de théâtre. La metteuse en scène compacte chacun des douze tableaux dans un espace clos toujours différent grâce à un système de panneaux coulissants, comme dans sa récente Katia Kabanova à la Komische Oper Berlin. Tout est très précautionneux avec le matériau de Georges Bernanos, et on comprend vite qu’elle n’a pas énormément de choses à raconter sur la vie en communauté ou la vie de famille, ni même sur la peur et l’angoisse. Aux « dialogues » qui ponctuent l’opéra de Francis Poulenc, il manque ainsi la spiritualité ou la valeur motrice. Elle se saisit cependant des éléments ponctuels de drame pour dépeindre des instantanés. Et le carmel prend alors soudainement vie, après une période d’immobilité. Le livre d’images gris-sur-gris finit par prendre doucement au deuxième acte, grâce notamment à la menace qui pèse, à ce drame lancinant qui réveille Jetske Mijnssen et garnit la scène de touches moins monochromes. La dernière partie se fluidifie jusqu’au superbe finale, où les sœurs envoyées à la guillotine effacent tour à tour d’une main leur nom inscrit sur le mur. Et quand cette conclusion est bien menée, on ne peut pas dire qu’on assiste à un mauvais Carmélites.

Si la lecture acquiert une pertinence crescendo au fil de la soirée, la direction à la truelle de Tito Ceccherini reste campée sur d’épuisants fortissimos et des textures d’armoires normandes écrasant souvent les chanteurs. Les musiciens de la Philharmonia Zürich ont beau livrer des relais magistraux entre pupitres et regorger de sonorités collectives indivisibles, le chef empêche au mystère de faire son nid. Les harmonies de Poulenc passent pour adhésives alors qu’elles devraient figurer une tectonique plus subtile. Et quand surviennent enfin des piano, les instrumentistes marchent sur des œufs. On entend du bleu mat et de la mollesse dans le geste ; on aurait souhaité (du moins sur cette mise en scène) de l’orange moiré et de la souplesse.

La distribution vocale a en revanche plus d’un tour dans son sac. Thomas Erlank dessine un élan constant de tendresse en administrant la ligne musicale et ses silences avec déférence et gourmandise. Le timbre chatoyant transforme les craintes du Chevalier en un déchirant festival de mansuétude. François Piolino fait correspondre ses vocalise sommaires à la douleur de l’Aumônier, Benjamin Molonfalean campe un Officier ténu et Valeriy Murga fait un geôlier glaçant. L’engagement intermittent de Nicolas Cavallier (Marquis de la Force) sur le phrasé ne lui permet pas de passer outre une prononciation décevante. Bien que la langue française ne soit pas représentée au mieux ce soir, les carmélites aiguillent la prosodie vers une rythmique syllabique unique de par leur personnalité artistique.

Olga Kulchynska effectue ainsi ses débuts dans le rôle de Blanche en orientations clairvoyantes, conduisant sa partition dans les pas de Mélisande. Les accès de colère ou de tristesse ne s’extériorisent pas, ils naviguent au cœur d’une expression sophistiquée de surface, nette et bienveillante. Les phrases commencent avec l’attrait de la nouveauté, se terminent dans la retenue des mots et passent par un ensemble d’étapes consolidées : de l’accélération au ralentissement, l’enrobage en musique instille une vérité spontanée au texte. Evelyn Herlitzius manie la maïeutique de la note et l’expérience du jeu dans la maladie de madame de Croissy. C’est par elle et son « drame » que la mise en scène de l’acte I s’anime. La Nouvelle Prieure d’Inga Kalna, d’ivoire et de prune, suscite un immense pouvoir d’attraction et se réalise en mettant sur un pied d’égalité sa foi et son émotion brute. L’agilité parfois tendue de Sandra Hamaoui ne saurait lui enlever la direction claire de ses vocalises et la douceur des enchaînements. Alice Coote, Liliana Nikiteanu et Freya Apffelstaedt complètent le tableau avec poigne. Ces sœurs forment une belle équipe qui valait bien le déplacement !

Thibault Vicq
(Zurich, 13 février 2022)

Dialogues des Carmélites, de Francis Poulenc, à l’Opernhaus Zürich jusqu’au 5 mars 2022

Crédit photo (c) Herwig Prammer

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading