Chaleureuses « Mélodies du bonheur » du Palazzetto Bru Zane au Théâtre des Champs-Élysées

Xl_dscf0651 © Thibault Vicq

Le 9e Festival Palazzetto Bru Zane Paris débutait le 1er juin avec le rare (mais assez justement oublié) Hulda de César Franck. Il s’achève dans le même Théâtre des Champs-Élysées le temps d'un Gala réunissant des « Mélodies du bonheur », des pages vocales et instrumentales également peu jouées, comme en a le secret le Centre de musique romantique française (désormais bien connu du public). Les textes parlent d’amour et de nature, les textures de composition parlent d’elles-mêmes. L’Orchestre de chambre de Paris ne cesse jamais de travailler sa pâte feuilletée de son, délicatement farinée dans la structure de ses regards croisés, soigneusement reposée par une continuité exquise de la phrase, dynamiquement retournée par son articulation assidue. Le velours épais se fond en un tulle balayé par le vent dans l’orientalisme de Fernand La Tombelle, l’espagnolade El Desdichado de Camille Saint-Saëns lui apporte du rugueux et du rebondi, et les couleurs se peignent en direct, chatoyantes et libres. Si la fluidité de l’entre-les-lignes est manifeste, les nuances le sont peut-être moins, peut-être à cause de la direction compacte d’Hervé Niquet. Le chef gourmand pourrait aller plus loin et se montrer plus régressif (ou du moins plus subtil) dans l’exploration des plaisirs procurés par ces miniatures pâtissières, comme il l’avait fait au gala des 10 ans du PBZ en 2019. Les équilibres entre l’orchestre et les solistes sont régulièrement mis à mal, mais chaque pièce a la cohérence de la bouchée, tout en conservant sa saveur unique. Le chevaleresque pianiste Cédric Tiberghien triomphe notamment du curieux quatrième mouvement de la suite avec cordes de Théodore Dubois (auquel Hervé Niquet ne semble pourtant pas vraiment croire), et s’insère confortablement dans les segments qui lui sont attribués. Le violoncelliste Xavier Phillips a la plume et le miel. Son vibrato blotti dans un coussin d’étoffe précieuse répond à la volupté de la harpe d’Emmanuel Ceysson.

Que ce soit pour sa diction exceptionnelle, son légato exquis ou sa ligne d’un immense horizon, on reste en pâmoison devant les interprétations de Julien Dran. Le ténor bordelais fait jaillir une animation intérieure hors normes et façonne un monde tout entier dans la construction vocale. Chez Saint-Saëns, c’est la montée embrasée en arrondis ininterrompus ; chez Jules Massenet, on est pendu à la complétude du verbe ; chez Chausson, la nuit est un dialogue entre psyché recueillie et inspirations volubiles de l’obscurité. Concernant Hélène Guilmette, c’est l’histoire d’un souffle fabuleux qui coulisse au gré des teintes orchestrales, dans une résonance et un phrasé qui se jouent des silences. Elle manie avec dextérité des mikados de cristal et des racines enfouies en un miracle souriant qui se repose sur la narration du chant. Dans son sublime Angélus de Saint-Saëns, le contexte est partout : les cloches au loin, la réponse à cet appel religieux, les poussées de conviction. Tassis Christoyannis fait usage du français comme d’un fil d’Ariane, en particulier chez Fauré, où il peut exprimer, dans un bouleversant récitatif phrasé, la profondeur érosive de la perte. Il fait usage de plus de force dans L’improvisatore de Massenet, qui manque sans doute de rire en coin. Le timbre safrané de Véronique Gens est le leitmotiv de ses mélodies, embrassant favorablement les épanchements fluides de l’orchestre, mais parfois dépourvues d’orientation nette (On dit, de Massenet) ou d’éclosion hors-la-partition (Les Roses d’Ispahan, de Fauré).

La saison 2022-2023 du Palazzetto Bru Zane sera sous le signe de Massenet (en France, Allemagne et Hongrie), avec les opéras Hérodiade, Ariane, Grisélidis et Werther (version baryton).

Thibault Vicq
(Paris, 29 juin 2022)

Crédit photo © Thibault Vicq

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