Le Théâtre des Champs-Élysées enjoué par le gala des dix ans du Palazzetto Bru Zane

Xl_gala_10_ans_palazzetto_bru_zane © Thibault Vicq

Madame Favart d’Offenbach était l’une des productions les plus attendues de la saison dernière à Paris. Le Palazzetto Bru Zane, outre son statut de coproducteur, avait édité et mis à disposition les partitions de cette œuvre rare et délectable durant la septième édition de son festival annuel à Paris. Le centre de musique romantique française s’applique depuis dix ans à redonner un éclairage à des œuvres perdues, oubliées, inconnues ou sous-estimées, de compositeurs qui ne le sont parfois pas moins. Il arrive cependant que ces compositeurs se nomment Berlioz, Saint-Saëns, Gounod, Massenet ou Offenbach, mais que les pages sorties du chapeau n’aient pas passé la jungle chatoyante des siècles. Quand on voit aujourd’hui le chemin parcouru de Venise à Montréal, du répertoire chambriste à l’art lyrique, de la recherche à l’édition, de la pédagogie à la production, on se réjouit d’un capital sympathie qui n’est pas près de s’évaporer pour une institution fédératrice et enchanteresse. Un gala d’anniversaire s’imposait en ce début d’automne ; hébergé au Théâtre des Champs-Élysées, il a exercé un irrépressible pouvoir de séduction.

La soirée, en bon best of, a soulevé la cloche sur les madeleines de Proust de la décennie passée et servi son lot de redécouvertes dont celle – inédite depuis sa création – de Lancelot, de Victorin Joncières. Véronique Gens y fait passer onctueusement le drame par ses talents de conteuse et Cyrille Dubois crée un réseau de lignes et de liens entre les notes. Les cottes de mailles moins sérieuses des Chevaliers de la Table ronde d’Hervé laissent libre cours à Ingrid Perruche de déployer son irrésistible arsenal de théâtre et de chant. Olivier Py excelle lui aussi en abattage scénique dans un extrait de La Mascotte d’Edmond Audran aux côtés d’un Rodolphe Briand à la même maîtrise comique. Si Lara Neumann et Flannan Obé forment eux aussi un couple truculent dans le Faust et Marguerite de Frédéric Barbier, le concert ne tombe pas dans le piège d’une course à la blague. La mise en espace de Romain Gilbert a l’intelligence de faire se succéder harmonieusement les numéros en réunissant la distribution de part et d’autre de la scène comme à deux célébrations d’anniversaire qui vont s’entrecroiser et partager la compagnie d’un mime (le phénoménal Antoine Philippot). Les chapeaux pointus en carton et les gâteaux surmontés de dix bougies permettent l’autodérision des chanteurs en représentation dans leurs rôles et en tant que spectateurs de leurs camarades. On ne s’ennuie pas une seconde, et les transitions les plus brutales coulent de source. Pour passer par exemple de l’ouverture de Madame Favart à l’extrait du Phèdre de Jean-Baptiste Lemoyne par la poignante Judith van Wanroij, le comédien prend l’identité d’un Hippolyte décédé suite à la malheureuse manipulation du couteau servant à couper les victuailles.

Si le gala ne se résume pas qu’à une série de saynètes, c’est parce que la musique y est exécutée avec beaucoup d’esprit. Hervé Niquet communique avec clarté et densité ses foisonnantes intentions à un Orchestre de chambre de Paris des grands jours. Le défi transformiste de la succession d’airs sans rapport évident l’un à l’autre est relevé avec brio. Ces visages instrumentaux honorent profondément la mission du Palazzetto Bru Zane pour un répertoire pluriel. Si on n’a cité précédemment que l’opéra-comique, l’opéra bouffe ou la tragédie, on a été aussi été ébloui par des couleurs symphoniques avec l’onirique harpe concertante d’Emmanuel Ceysson. Le baryton Tassis Christoyannis partage passionnément la saveur du lied avec orchestre dans une boîte à musique aqueuse et envoûtante, et contribue à la défense du grand opéra français par Méhul, dans une formidable page de chaos où l’intense Edgaras Montvidas se confronte à la guerre totale figurée par les instrumentistes. La pétillante Chantal Santon-Jeffery participe à l’éclat de l’aspect « déjà porté » incarné par Charles VI et Les Mystères d’Isis (sorte de remake harmonique de La Flûte enchantée), et le Chœur du Concert Spirituel soulève la terre.

En dix ans, le Palazzetto Bru Zane aura animé un pouvoir gravitationnel vers une musique hors des sentiers battus et une mémoire vive longtemps privée de tout un pan du répertoire. Ce retour vers le futur aura assurément une trace à long terme dans les programmations françaises !

Thibault Vicq
(Paris, 7 octobre 2019)

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