Anne-Catherine Gillet, frondeuse Fille de Madame Angot au Théâtre des Champs-Élysées

Xl_la-fille-de-madame-angot_theatre-des-champs-elysees_2021 © Hélène Pambrun

Dans le gris incertain du mois de février, le Label Bru Zane s’affairait à enregistrer à La Seine Musicale La Fille de Madame Angot, opéra-comique de Charles Lecocq. Après la session à laquelle nous avions assisté, nous étions impatients d’entendre l’œuvre en intégralité. La fine équipe s’est retrouvée hier soir au Théâtre des Champs-Élysées pour une version de concert, à la veille de la clôture du 8e Festival Palazzetto Bru Zane Paris. Si la représentation redonne évidemment le sourire à un public enfin accepté à 100% de la jauge de salle, nous la sentons paradoxalement un chouïa moins énergisante que la portion d’enregistrement que nous en avons reçu cet hiver.

Serait-ce dû à l’œuvre et à son livret un brin désuet ? La comédienne diva (Mademoiselle Lange), le chansonnier subversif (Ange Pitou), le financier véreux (Larivaudière), le perruquier bêta (Pomponnet) et l’orpheline émancipée (Clairette, la « Fille de Madame Angot ») forment une équipe de personnages savoureux, mais la composante politique dans laquelle ils sont plongés nous échappe un peu en 2021.

Serait-ce dû à l’incarnation générale de ces figures comiques, ou du moins à l’alliage du parlé et du chanté, malgré un plateau vocal de grande qualité ? Les caractéristiques des protagonistes sont peut-être trop individualisées, ce qui rend la restitution collective moins palpitante. La distance de Véronique Gens ne facilite pas l’ironie mondaine de Mademoiselle Lange. La tragédie intériorisée et la sensualité des lignes l’éloignent de la substance comique en fusion. Les irrésistibles élans populaires d’Ingrid Perruche dans le théâtre sont contrebalancés par une diction du chant approximative. La prosodie musicale légèrement étouffée d’Artavazd Sargsyan fait quelque peu barrière au Pomponnet bouffon que nous attendions. Mathias Vidal prend les traits de Pitou avec une précision superlative : l’ivresse de l’amour et de la politique old school galvanisent à chaque instant. Le truculent Flannan Obé s’en donne à cœur joie, bien que nous l’ayons connu plus drôle encore à La Seine Musicale. Le Larivaudière bien posé de Matthieu Lécroart maintient les standards comiques à bonne hauteur, Antoine Philippot et David Witczak donnent du relief aux personnages plus secondaires. Anne-Catherine Gillet sort le grand jeu dans le rôle-titre de fausse ingénue : rieuse, brillante et drolatique, elle maîtrise l’art de la ponctuation dans une endurance vertigineuse. L’air « C’n’était pas la peine de changer le gouvernement » témoigne notamment d’une aisance scénique indéniable, au même titre que ses duos, dans lesquels elle ne fait qu’une avec le timbre de ses partenaires.

Nous saluons l’obsession du son, que le Chœur du Concert Spirituel conserve à une exigence élevée. Le respect du rythme lui semble moins prioritaire, d’où un écho très fréquent vis-à-vis de l’orchestre.

La direction de Sébastien Rouland va droit au but, dans l’équilibre, la structure et la densité. L’esprit de corps de l’Orchestre de chambre de Paris se conjugue à tous les tempi. Derrière la délimitation nette des aigus, des graves et de la pulsation par la baguette, les instrumentistes se font plaisir et surtout s’écoutent. Le chef conçoit en outre les motifs en superposition des textures cohérentes préexistantes. Nous assistons à un niveau de détail très appréciable, sans tomber dans la chirurgie esthétique. La phalange parisienne avance comme un cheval de Troie insubmersible dans lequel grouilleraient une multitude de personnalités, toutes synchronisées. Sébastien Rouland, sur une malheureuse estrade couineuse, se laisse le loisir généreux d’apposer des phrasés raffinés à un esprit plus martial : il fait cohabiter la dimension fonctionnelle (« récréative ») de la partition et les subtilités brodées entre les portées. La trompette parfois trop basse ou les violons pas toujours d’accord sont un point de détail qui ne nuit pas à la réussite de l’ensemble.

Thibault Vicq
(Paris, 30 juin 2021)

La Fille de Madame Angot, de Charles Lecocq : parution de l'enregistrement dans la collection « Opéra français » (Label Bru Zane) en 2022

Crédit photo © Hélène Pambrun

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