Actéon et Pygmalion à Versailles : l'efficacité sans l'intensité

Xl_xl_photo_by_bruce_zinger_181128_45620 © Bruce Zinger

Les Métamorphoses d’Ovide demeurent toujours un vivier d’histoires universelles qui ont à chaque époque quelque chose à raconter. Actéon et Pygmalion en constituent deux segments dont l’association opératique prend une signification appropriée. Le premier, sous la plume musicale de Marc-Antoine Charpentier, transforme un prince de Thèbes en cerf après des regards inopinés vers la déesse Diane. Dans le second, Jean-Philippe Rameau anime une statue sculptée pour l’amour de l’art. Actéon connaît une fin tragique alors que Pygmalion célèbre la création et la joie de vivre. Le cheminement d’un homme vers la mort et d’une femme vers la vie imbriquent deux destins façonnés par des êtres divins.


Actéon, Opéra Royal de Versailles ; © Bruce Zinger

Le collectif canadien Opera Atelier a pour objectif de perpétuer le souffle du répertoire théâtral, lyrique et chorégraphique des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Le diptyque qu’il présente ce week-end à l’Opéra Royal du Château de Versailles est fidèle à sa philosophie de monter les spectacles « à l’ancienne », en fastueux costumes et en évocations allégoriques. Les fondateurs et co-directeurs artistiques Marshall Pynkoski (mise en scène) et Jeanette Lajeunesse Zingg (chorégraphie) font combiner harmonieusement le chant et la danse, et utilisent les mêmes recettes que dans Ricciardo e Zoraide cet été à Pesaro. Il n’y a aucun doute sur le fait que l’objet soit beau et efficace : la scénographie en toiles peintes, en trompe-l’œil et transparences pour Actéon, et en perspective très Dalí pour Pygmalion, reconstituent respectivement l’atmosphère enchantée d’une forêt et le décor ouvert de tous les possibles. Sans tomber dans les excès d’accessoires, la représentation a lieu au bon endroit : les colonnes de la salle d’Ange-Jacques Gabriel (bien qu’inaugurée après la création des deux œuvres) assurent la continuité de symétrie du plateau. Le ballet galant (central dans la miniature de Rameau) concourt au plaisir d’un divertissement qui ne dépassera cependant pas la simple dimension mondaine. On a certes eu l’habitude de personnages plus fouillés (on pense au brillant Pygmalion par Robyn Orlin à Dijon, cette année, repris à Lille en janvier), mais on se laisse gentiment et agréablement emporter par cette percée dans le temps.


Actéon, Opéra Royal de Versailles ; © Bruce Zinger

Actéon, Opéra Royal de Versailles ; © Bruce Zinger

La distribution vocale est quant à elle plus inégale, malgré les éloges qu’on peut émettre sur sa diction française miraculeuse. Colin Ainsworth possède des facilités d’ambitus indéniables, qui feraient de lui un Actéon et un Pygmalion superlatifs si ses vocalises irrégulières n’étaient pas si rustres. Sa prosodie méritante s’assortit trop souvent d’une perte de stabilité, notamment dans les nuances forte, alors que les piano ravissent par leurs formes élancées. Meghan Lindsay campe une bien meilleure Aréthuse – souple, libre et mutine – que Galatée – dont l’articulation musicale satisfaisante est ternie par des failles dans les attaques et la justesse. Les Junon et Hyale d’Allyson McHardy sont entaillées d’un voile âpre et d’un souffle coupé, tandis que sa Céphise se perd en volonté de puissance inassouvie. En revanche, Mireille Asselin brille dans les rôles des déesses Diane et Amour, avec le timbre vif d’une source aquatique et la prosodie bourgeonnante de la faune galopante. Son phrasé coquet et floral sied idéalement à ses personnages intuitifs et insouciants. Les Chasseurs Jesse Blumberg et Christopher Enns, ainsi que les Nymphes Anna Sharpe et Cynthia Smithers, agencent avec une assurance réjouissante leur voix et leurs pas à ceux des protagonistes, à l’instar des artistes de l’Atelier Ballet. Le Chœur Marguerite Louis (préparé avec brio par Gaétan Jarry) dose magistralement ses équilibres entre les tessitures et forme une entité complète et soudée à tous les stades du récit.

En dépit des qualités d’exécution du Tafelmuski Baroque Orchestra, la baguette de David Fallis ne creuse jamais au-delà de la surface de la musique de ballet. L’accompagnement instrumental littéral s’en ressent donc un peu « coincé », sans un plan d’idées musicales qui aurait pu transcender l’écriture. Musicalement et scéniquement, ce diptyque est donc relativement bien ficelé et a le mérite de ne pas dénaturer ses deux opéras. Reste ce je-ne-sais-quoi, qui ne vient jamais, et qui aurait fait mettre les pieds dans le plat à cette production un peu trop propre.

Thibault Vicq
(Versailles, 30 novembre 2018)

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