A Funny Thing Happened on the Way to the Forum : le Lido 2 Paris, c’est (vraiment) parti !

Xl_z6i_4531 © Julien Benhamou

L’ouverture du Lido2Paris fin 2022 avec le tiède Cabaret n’était qu’une transition vers le nouveau Lido 2 Paris, à présent complètement réaménagé pour la programmation d’ « attractions » de théâtre musical dont Jean-Luc Choplin a la responsabilité, sous la houlette du groupe hôtelier Accor. La désertion progressive des Champs-Élysées par les Parisiens saura-t-elle s’inverser par des musicals glamour et artistiquement exigeants, recette de l’ancien directeur du Théâtre du Châtelet ? C‘est ce que laisse présager le drolatique et frénétique A Funny Thing Happened on the Way to the Forum, première pierre porteuse de cette nouvelle ligne, qui accueillera ces prochains mois le mythique The Rocky Horror Show (dans une production historique) et une « suite » de La Flûte enchantée par Damon Albarn. Car les productions du Lido 2 Paris sont destinées à voyager à New York et à Londres, et à « rayonner dans le monde entier » selon son directeur.

Au Châtelet, Jean-Luc Choplin avait fait connaître Stephen Sondheim compositeur, au-delà du lyricist de West Side Story. A Little Night Music, Sweeney Todd, Sunday in the Park with George, Into the Woods et Passion : autant de pièces-maîtresses défendues dans le centre de Paris avec un orchestre conséquent, luxe souvent impossible à Broadway ou dans le West End. Créé en 1962 à New York, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum est l’antichambre de la consécration pour Sondheim. Le succès public de 964 représentations en trois ans – rétrospectivement le plus grand de son auteur – et ses six Tony Awards (sur huit nominations) en font un véritable phénomène, mais pas directement de la part des professionnels, que le four de son musical suivant (Anyone Can Whistle) n’arrangera pas. La reconnaissance et la notoriété de coloriste sonore décolleront avec Company en 1970, jusqu’au succès outre-Manche et outre-Atlantique (sacré jusqu’à Hollywood) qu’on lui connaît aujourd’hui.

Qui aurait pu prédire qu’un mash-up de farces théâtrales de Plaute (IIIe siècle avant J.-C.) à la sauce Broadway serait aussi stimulant pour les zygomatiques ? Variété de personnages à l’unicité de caractère, commedia dell’arte en toges romaines, pastiche (sans dieux) des tragédies antiques : c’est par l’accumulation (pourtant fluide) qu’A Funny Thing Happened on the Way to the Forum trouve son rythme (effréné) de croisière. Les dialogues parlés pullulent de bons mots, les vers chantés forment une seconde peau à une subtile langue anglaise de proximité, pour une histoire d’amour entre un gosse de riches tendre (Hero) et une prostituée naïve fraîchement débarquée de Crète (Philia) mais promise à un capitaine militaire mâle alpha (Miles Gloriosus). Les parents et les voisins s’en mêlent, ainsi que les esclaves Hysterium et Pseudolus, ce dernier montant un stratagème pour gagner sa liberté…

Le metteur en scène Cal McCrystal, qu’on avait apprécié dans les opérettes HMS Pinafore et Iolanthe (de Gilbert et Sullivan) à l’English National Opera, sculpte avec brio la matière épileptique du théâtre, avec la malléabilité « dramatique » des corps et le flux du texte. La scénographie en trois tours-maisons est utilisée à bon escient pour diviser les espaces et multiplier les quiproquos, et tous les gags (jusqu’aux plus graveleux) font mouche grâce à un sens ciselé (et surtout assumé !) du comique en n’importe quelle circonstance, ne sacrifiant ni le parlé ni le chanté ! Cela fait un bien fou.


(c) Julien Benhamou

Évidemment, la distribution sait tout faire. Neïma Naouri (Philia) dispense à elle seule un philtre d’amour vocal en incarnation satinée et sensuelle d‘une ingénue magnétique, le Hero de Josh St Clair est un oiseau curieux qui déploie fièrement ses ailes, et leurs duos d’amour électrisent. John Owen-Jones, qui a incarné le Fantôme de l’Opéra plus de deux mille fois dans l’œuvre éponyme d’Andrew Lloyd Webber, campe ici suprêmement Gloriosus d’un chant solaire et d’un jeu irrésistible. Valérie Gabail impressionne elle aussi en mère drama queen, bombe d’énergie et de timbres. Même si Patrick Ryecart utilise beaucoup de gorge dans les songs, le travail d’acteur hors pair convainc pleinement. Hysterium bénéficie de l’abattage scénique pince-sans-rire et hilarant d’Andrew Pepper. Les projecteurs sont l’habitat naturel de Rufus Hound, Pseudolus qui malgré quelques limites vocales, assure gaillardement le show en continu. Martyn Ellis, David Rintoul, Michael Afemaré, David Benson, et Joseph Claus consolident quant à eux le plateau de leur présence et expérience, à l’instar de danseurs, de « choristes » et d’une contorsionniste aussi bluffants les uns que les autres.

Gareth Valentine, aux rênes de 42nd Street au Théâtre du Châtelet l’année dernière, dirige avec homogénéité la colorimétrie mélancoliques et swing de Sondheim à travers les dix-huit instrumentistes de l’excellent Orchestre du Lido 2 Paris, divisé entre jardin et cour. Il révèle un délectable tapis sonore s’enroulant en arabesques et s’extériorisant en jets émotifs, à même de montrer les faces cachées de personnages à première vue univoques. Il concourt ainsi, lui aussi, à rendre cette succession de numéros aussi humaine qu’indispensable.

Thibault Vicq
(Paris, 1er décembre 2023)

A Funny Thing Happened on the Way to the Forum, de Stephen Sondheim (musique et lyrics), Burt Shevelove et Larry Gelbart (livret), au Lido 2 Paris (Paris 8e) jusqu’au 4 février 2024

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