Le point de vue d’Alain Duault : 42ème rue, sans économie d’énergie !

Xl_42nd-street_theatre-du-chatelet_2022-2023-c-thomas-amouroux © Thomas Amouroux

Le noir se fait à peine dans la salle, l’orchestre vrombit dans la fosse du Châtelet, emmené par la baguette amphétaminée de Gareth Valentine, le rideau se soulève… et s’arrête à moins d’un mètre : et l’on ne voit que des jambes, des dizaines de jambes qui swinguent avec un peps qui donne le ton ! Le rideau peut alors se lever complètement : c’est parti ! Et ça ne va pas s’arrêter un instant pendant plus de deux heures et demie : car le premier effet de ce spectacle est la formidable énergie qu’il diffuse.

42nd Street - Théâtre du Châtelet (c) Thomas Amouroux

42nd Street - Théâtre du Châtelet (c) Thomas Amouroux

Eclaboussant de couleurs et de rythmes, 42ème rue est un des classiques de la comédie musicale de Broadway, cette sorte d’opéra populaire né à New York et devenu emblématique : le sujet en est une manière de mise en abyme de la comédie musicale, qui inscrit l’époque et l’universalité, c’est-à-dire les ombres de notre monde cabossé et la force de la détermination qui donne son énergie aux hommes. Située en 1933, juste après l’année de la Grande Dépression, 1929, l’histoire est celle d’une petite provinciale venue à New York pour danser avec les girls d’une nouvelle comédie musicale – mais ça commence mal : elle arrive en retard à l’audition, elle bouscule sans le vouloir le metteur en scène, elle n’est donc pas sélectionnée. Pourtant, grâce à ses copines, les girls qui sont le moteur même de ces spectacles caractéristiques de  ce Broadway dont on conserve la nostalgie, la jeune Peggy Sawyer parvient à intégrer la troupe et y fait des étincelles, séduisant tout le monde par son talent, son entrain et sa bonne humeur. Mais le destin lui fait un croche-pied : elle bouscule, sans le vouloir, la grande Dorothy Brock, autour de laquelle le metteur en scène a bâti son spectacle : catastrophe ! Cheville fracturée, la vedette ne peut pas tenir son rôle, et sans elle plus de spectacle, chômage pour tous, larmes et désespoir ! Heureusement, la solidarité des girls permet de rallumer le feu : ce sont elles qui vont convaincre le patron d’engager la petite. Peggy se lance avec une volonté incroyable, sous la férule du metteur en scène qui en veut plus, toujours plus, jusqu’à cette folie contagieuse qui est l’ADN de la comédie musicale. Et bien sûr c’est un triomphe ! Peggy devient une star entre les buildings qui tournent au-dessus de sa tête enflammée et de ses jambes d’acier : le credo de la volonté qui permet l’impossible, et plus encore, trouve sa réalisation dans des chorégraphies réglées au millimètre (et l’on voit les répétitions où le moindre écart de position exige une reprise, dix fois, cent fois), car pour obtenir ce festival de couleurs et de rythmes qui tombent juste à chaque instant, il faut des heures, des jours – et tant de rêves. Au son de cet orchestre rutilant, cuivres et percussions en ébullition à un tempo d’enfer, toute la troupe danse avec du génie, enfilant à toute vitesse les quelque 300 costumes et 200 paires de chaussures, faisant défiler les 16 tableaux aux décors pailletés, avec quelque chose d’électrique, sans aucun délestage, dont les pluies de claquettes sont l’effigie – ce qui n’empêche pas quelques moments de tendresse, de nostalgie, d’humour aussi, souvent.


Emily Langham (Peggy Sawyer) et Jack North (Billiy Lawlor) 42nd Street - Théâtre du Châtelet (c) Thomas Amouroux

Bien sûr, il y a des individualités, celle de la Peggy d’Emily Langham, pile atomique gouailleuse, à la voix crépitante, aux yeux et aux jambes dans les étoiles ; celle du ténor crooner Billy Lawlor joué-chanté par un Jack North élastique ; celle de Julian Marsh, figure du père pour ces jeunes qui veulent aller au bout de leurs rêves, figure nostalgique aussi qui s’interroge en creux sur l’avenir, et Alex Hanson y est épatant.

Comme en ce début des années 30, notre époque griffée par un réel attristant a besoin de cette joie qui ricoche, de ces couleurs qui éclairent, de ces rythmes qui entrainent, de ces claquettes qui cliquettent : c’est ça le show ! Alors ça se donne tous les jours jusqu’au 15 janvier : n’hésitez donc pas, si vous voulez effacer les ombres de 2022, ou peindre en multicolore le début de 2023, une seule adresse, le Châtelet, en prenant la 42ème Rue !

Alain Duault
Paris, 15 décembre 2022

42nd Street au Théâtre du Châtelet, tous les jours jusqu'au 15 janvier 2023 (sauf le lundi)

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