Sonya Yoncheva est Norma à la Royal Opera House, Covent Garden

Xl_yoncheva_norma_roh_1 © DR

En 1898, Giuseppe Verdi décrivait Vincenzo Bellini comme étant « empli de sentiments et d’une mélancolie personnelle qui lui est propre ». À l’évidence, ces traits se trouvent en abondance dans sa Norma de 1831, dont l’universitaire David Kimbell suggère que l’aboutissement le plus stupéfiant de l’opéra du compositeur est « d’avoir, parmi tous ce qu’il peut y avoir d’excitant dans la musique romantique, affirmé sa pensée que la vraie magie de l’opéra dépend d’une sorte d’incantation dans laquelle la poésie dramatique et le chant fusionnent parfaitement ».

Le livret plante le décor dans la Gaule du premier siècle avant J-C, au cœur d’un conflit opposant druides et romains. Ces derniers ont triomphé des premiers, à tout point de vue, mais consentent néanmoins à leur accorder une trêve. Pour autant, les druides en profitent pour fomenter une contre-attaque et attendent le bon moment pour défaire leur ennemi. La grande prêtresse druidique Norma commande néanmoins aux siens de reporter leur attaque – non pour des raisons stratégiques, mais parce qu’elle a entretenu une idylle secrète avec le général romain Pollione, père de ses enfants, et qu’elle ne supporterait pas de voir blessé de quelque façon.

Pollione, de son côté, ne nourrit plus les mêmes sentiments à l’égard de Norma que par le passé : il s’est épris d’une autre prêtresse druidique, Adalgisa. Tiraillée entre son devoir et son amour, la jeune femme confesse à Norma avoir rompu ses vœux pour l’amour d’un Romain et trouve une oreille étonnement compréhensive auprès de sa consœur – la grande prêtresse pouvant aisément s’identifier à son infortune. Et quand Norma découvre que le Romain n’est autre que Pollione, elle se montre profondément indignée, mais blâme davantage la déloyauté du général que celle d’Adalgisa. À force d’introspection, Norma consent finalement à accepter l’union de Pollione et Adalgisa, et plus encore, se résout à leur confier ses propres enfants. Adalgisa se rend au camp romain, mais avec l’ambition de persuader Pollione de revenir vers Norma. Elle y échoue, et une rumeur laissant entendre que Pollione entend enlever Adalgisa au Temple druide d’Irminsul se répand.

En conséquence et pour s’y opposer, Norma exhorte son peuple de prendre les armes contre les Romains, et tous semblent voir en Pollione le candidat idéal à sacrifier à la veille du conflit quand le général est trouvé en train de profaner le temple dans lequel il a osé pénétrer. Norma ne peut néanmoins se résoudre à le tuer, et déclare que la victime sacrificielle sera une prêtresse ayant rompu ses vœux. On suppose d’abord qu’elle fait référence à Adalgisa, mais elle décide au dernier moment qu’il lui incombe de tenir ce rôle. Alors qu’elle se prépare à se précipiter dans le bûcher sacrificiel, l’amour de Pollione est ravivé et le Romain choisit de l’y rejoindre, s’unissant tous deux ainsi dans la mort.

Cette nouvelle production d’Àlex Ollé, directeur de la compagnie théâtrale espagnole La Fura dels Baus (qui a mis en scène l’Œdipe d’Enesco à la Royal Opera House en mai dernier), transpose l’action du livret original sans toutefois la situer dans un cadre ou une époque précis et évident. Quand on observe les rituels de druides capuchonnés, se déroulant sous les chênes d’une forêt prenant la forme d’un épais maillage de crucifix, on pense évidemment à l’Espagne catholique du XVIème siècle. Une approche intelligente puisque le metteur en scène catalan entend souligner la nature très envahissante de la religion dans la culture – il fait donc sens de l’illustrer avec une époque et un lieu qui nous sont familiers. Et ce parfum ambiant d’Espagne du XVIème siècle rappelle par ailleurs l’Inquisition espagnole, qui là encore permet de faire écho à la nature la plus sinistre de la culture druidique.

Les druides incarnent néanmoins un peuple tout aussi politique que religieux, et le fait qu’ils évoluent dans ces différentes sphères est encore mis en relief par leurs tenues, qui changent tout au long de la soirée selon qu’ils pratiquent un rituel religieux ou non, qu’elles soient d’allures modernes ou militaires. Norma, dans son rôle de grande prêtresse, est par ailleurs d’abord une figure publique de premier plan, mais sa vie privée est également mise en perspective par la mise en scène – notamment lorsqu’elle est avec ses enfants (et envisage de les tuer de peur de ce que la société pourrait leur infliger), dans une chambre moderne où trône un poste de télévision. Arrive néanmoins un moment où les multiples références temporelles et géographiques affectent la cohérence des idées défendues ici, mais c’est un détail inhérent à toutes les dimensions de l'oeuvre (particulièrement quand il s’agit des enfants de Norma), qui n’apparait pas négatif pour autant.

L’excellente gestion des lumières de Marco Filibeck crée en outre de magnifiques motifs en filigrane où les ombres du foisonnement de crucifix s’étendent sur la scène, et au regard de la multitude de détails qu’elle offre, la scénographie a le mérite de ne pas être trop complexe. Sonya Yoncheva, avec son soprano d’une précision et d’un ton exquis, est éblouissante dans le rôle-titre, et il est intéressant de voir à quel point il lui en faut peu pour nous toucher. Dans l’emblématique « Casta diva », elle demeure immobile la plupart du temps, et il lui suffit pourtant de simplement lever les bras pour que sa présence irradie, et plus encore. Joseph Calleja dans le rôle de Pollione montre quelques difficultés dans son aria du début « Meco all’altar di Venere » (qui peuvent être simplement liées au stress de la première représentation), mais néanmoins, il dévoile déjà toute la puissance de sa voix, et poursuit tout au long de la soirée de nous étonner par un son très riche. Sonia Ganassi dans le rôle d’Adalgisa révèle un beau grain dans son mezzo, tandis que Vlada Borovko, Brindley Sherratt (en dépit d’un départ incertain) et David Junghoon Kim sont excellents respectivement dans le rôle de Clotilde, la confidente de Norma ; de son père Oroveso et de Flavio, l’ami de Pollione. La direction d’Antonio Pappano est douce et sûre, ce qui signifie que l’ensemble des satisfactions de la soirée l’emporte sur les quelques regrets. La production est également diffusée en direct dans cinémas sélectionnés autour du monde le 26 septembre prochain, et forte de la belle atmosphère de sa mise en scène et de ses lumières, elle devrait se révéler particulièrement efficace sur grand écran.

Traduction libre de la chronique en anglais de Sam Smith

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