Partenope de Handel, plus solide que jamais à l’English National Opera

Xl_the_cast_of_eno_s_partenope_2025___lloyd_winters__1_ © Lloyd Winters / ENO

Partenope de Georg Friedrich Haendel, créée au King's Theatre de Londres le 24 février 1730, suit la structure et les formes traditionnelles de l'opera seria, l’opéra « sérieux ». La classification de l’œuvre peut néanmoins interroger tant son ton est humoristique et sa musique empreinte de légèreté. À ce titre, son livret, adapté par un auteur inconnu à partir d'un livret original de Silvio Stampiglia datant de 1699, fut particulièrement mal accueilli : la Royal Academy of Music l’avait rejeté lors de sa première proposition en 1719 en raison de sa frivolité. Partenope connut néanmoins un succès public immédiat dès sa création, avec sept représentations lors de sa première série, puis sept supplémentaires en décembre 1730, avant d'être reprise en 1737. Comme d'autres opéras de Haendel, l’ouvrage est ensuite tombé dans l'oubli pendant près de deux siècles, mais l’œuvre est aujourd'hui plus fréquemment jouée dans les plus grands opéras du monde.

Le livret raconte l’histoire de la reine Partenope, fondatrice de la cité de Naples, courtisée par trois prétendants : Arsace, Emilio et Armindo. Arsace a trahi son ancienne amante Rosmira, qui elle-même entend le reconquérir et se travestit en homme (sous le nom d’Eurimene) pour l’approcher, tout en prétendant également être amoureuse de Partenope. Emilio est un prince de la cité voisine Cumes, qui prétend conquérir Partenope en conquérant son royaume – mais est fait prisonnier au combat. Quant à Armindo, il erre comme un amoureux transi, trop timide pour avouer ses sentiments à la reine. Après de nombreux rebondissements, Arsace et Rosmira se retrouvent, Partenope choisit Armindo pour époux, et Emilio est libéré pour rentrer à Cumes.

Partenope à l'English National Opera, 2025 © Lloyd Winters
Partenope à l'English National Opera, 2025 © Lloyd Winters

La production de Christopher Alden pour l'English National Opera a été créée au London Coliseum en 2008, puis reprise sur cette même scène en 2017. Le metteur en scène imagine un cadre particulièrement adapté à l’intrigue, en situant l’action dans une maison moderniste parisienne des années 1920, conçues par Andrew Lieberman. Chaque personnage y adopte la personnalité d'un artiste associé au mouvement surréaliste. Emilio évoque Man Ray, avec son masque en plâtre, prenant et développant des photographies, tandis que Partenope pourrait être Lee Miller et Ormonte, André Breton. Au début, Partenope est assise seule, tandis que les cinq hommes (en incluant Rosmira déguisée) descendent l'imposant escalier qui trône sur la scène, adoptant des poses et arborant des tenues (du costumier Jon Morrell) que l'on associe au surréalisme. On voit ensuite Armindo suspendu à l'escalier pendant son air « Voglio dire al mio tesoro » (Jake Ingbar, qui conserve une justesse impressionnante tout du long malgré sa posture). Parallèlement, Emilio installe les autres personnages au sol pour prendre la pose pour une photographie durant l’air « Anch'io pugnar saprò », les conduisant à chanter leur récitatif suivant allongés par terre. Plus loin, certains jouent aux cartes en buvant du whisky et en portant des masques à gaz, alors que les désirs ou la colère s'expriment en mangeant des bananes ou en jetant un verre sur le portrait d'un couple accroché au mur...

Si le cadre choisi fonctionne si bien pour cet opéra, c'est parce que les arias, comme souvent chez Haendel, ne traitent pas seulement des sentiments en eux-mêmes, mais aussi des actes qui expriment ces sentiments. Les surréalistes accordaient eux aussi une grande importance à ces actes qui expriment des sentiments, il est donc tout à fait logique qu'une aria puisse devenir un forum où les protagonistes expriment leurs émotions, presque comme une performance artistique. Les personnages des opéras de Haendel peuvent en outre être extrêmement égocentriques – ils n'hésitent pas à envoyer des armées entières au combat pour assouvir leurs désirs personnels. De même, bon nombre de ces surréalistes avaient une forte personnalité, ils considéraient leur propre affirmation de soi comme primordiale, et voyaient peut-être même les triangles amoureux dans lesquels ils étaient impliqués comme une forme d'art à part entière.

La scène de bataille qui ouvre l'acte II se distingue à ce titre par ses passages orchestraux entrecoupés de récitatifs et d'ariosos. Il apparait donc naturel qu'elle soit présentée ici sans effusion de sang, de façon métaphorique : la moitié des personnages sirote du champagne pendant toute sa durée, évoquant la guerre tantôt comme une performance artistique, tantôt comme un état d'esprit. Et le choix de mise en scène fonctionne d’autant mieux qu'Emilio part en guerre contre Partenope pour tenter de gagner son cœur (en plus de son royaume), alors que le cadre général de l'opéra est intrinsèquement surréaliste. L’ouvrage traite de désirs profonds, sur lesquels se superposent des intrigues, les personnages n'agissant pas de façon linéaire pour atteindre leurs objectifs, ce qui renvoie à la notion de subconscient.

Hugh Cutting, Nardus Williams, Partenope à l'English National Opera, 2025 © Lloyd Winters
Hugh Cutting, Nardus Williams, Partenope à l'English National Opera, 2025 © Lloyd Winters

Tout au long de la représentation, les sous-entendus sont nombreux. La production est truffée d'humour scatologique, mais les surréalistes n'étaient pas étrangers à ce genre d'humour. Emilio porte aussi un casque à pointe traditionnel Pickelhaube lors de la bataille et, durant de la première partie du « conflit », se tient assis à l'écart de l'action principale, faisant allusion à la façon dont la guerre des tranchées était « menée » pendant la Première Guerre mondiale. Le bâtiment moderniste qui sert de cadre à la scène semble aussi illustrer une transition, comme pour faire table rase de l’ancien au profit de la modernité. Dans le même esprit, l'un des costumes d'Ormonte dans l'acte III combine un Pickelhaube et une tenue de cabaret, suggérant un choc entre les valeurs de l'ancien Empire allemand et celles de la République de Weimar. De fait, le décor prend des allures de défi dramatique aux hiérarchies traditionnelles et quand la reine Partenope prend son petit-déjeuner avec Armindo et Ormonte, tous sont en robe de chambre – elle règne ici grâce à ses compétences et à sa personnalité et non du fait de l’apparat de sa seule position.

Nardus Williams incarne parfaitement le rôle-titre : son soprano magnifiquement rayonnant fait écho à un personnage qui contrôle tout et tout le monde grâce à la puissance de sa présence. Dans le rôle d'Arsace, Hugh Cutting fait entendre une voix de contre-ténor légère et éthérée, tandis que Jake Ingbar est tout aussi impressionnant dans le rôle d'Armindo – sa propre voix de contre-ténor possède, en comparaison, un peu plus de poids. Rupert Charlesworth affirme le caractère d'Emilio avec un ténor particulièrement convaincant aux effets formidables ; Katie Bray, avec sa voix de mezzo-soprano sûre et nuancée, incarne à merveille une Rosmira à l'esprit fort, tandis que William Thomas révèle une voix de basse solide et engageante dans le rôle d'Ormonte. Si les solistes sont irréprochables, il en va de même pour l'Orchestre de l'Opéra national d’Angleterre, qui veille à ce que son interprétation reste parfaitement équilibrée, rythmée et harmonieuse tout au long de la représentation. L’ensemble est dirigé par le chef Christian Curnyn, spécialiste du baroque, mais lors de la première, un incident de santé l’a obligé à se retirer après le premier acte. C'est donc le chef d'orchestre adjoint William Cole qui a pris la relève pour le reste de la soirée, mais en termes de sonorités provenant de la fosse, le changement s'est fait en toute transparence.

traduction libre de la chronique en anglais de Sam Smith
Londres, 20 novembre 2025

Partenope, du 20 novembre au 6 décembre à l'English National Opera

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