Cavalleria rusticana et Pagliacci à la Royal Opera House, Covent Garden

Xl_pav-cav-roh-2015

Bien que Cavalleria rusticana (de Pietro Mascagni) et Pagliacci (de Ruggero Leoncavallo) soient deux opéras clairement distincts, ils sont néanmoins régulièrement donnés ensemble, au point que « Cav & Pag » devienne leur dénomination traditionnelle dans l’univers lyrique. Composés à seulement deux ans d’intervalle, respectivement en 1890 et en 1892, leur courte durée les rend aisés à donner le temps d’une soirée, alors que l’un et l’autre nous content une histoire d’amour, de trahison, de jalousie et de meurtre.

Nombre de metteurs en scène s’assurent que les mêmes interprètes endossent les rôles principaux masculins dans les deux opéras, et font en sorte d’exploiter les synergies qui existent entre les deux œuvres. Damiano Michieletto ne fait pas exception dans cette nouvelle production montée pour la Royal Opera House, en coproduction avec l’Opera Australia, La Monnaie de Bruxelles et le Göteborg Opera, qui situe l’action des deux œuvres dans les années 1980. Dans ce contexte, le village italien servant de décor suggère un certain idéal romantique, mais diffuse aussi un sentiment suspicion et de trahison, tout en faisant peser une atmosphère lourde et chargée de décadence sur la scène. On assiste ainsi par exemple à des processions religieuses évoluant dans les rues du village, mais leur beauté est immédiatement contrebalancée par les antennes de télévision et paraboles satellites qui parsèment les bâtiments alentour. De même, le mode de vie paisible et traditionnel du lieu est vite érodé par l’appât du gain de certains protagonistes, affichant leur opulence au travers de leur apparence ou de leurs grosses voitures...

Cavalleria rusticana raconte l’histoire de Turiddu, de retour chez lui après avoir fait l’armée, pour découvrir que celle qu’il aime, Lola, s’est mariée à Alfio. Il y répond en séduisant Santuzza, avant de bientôt la repousser pour renouer une aventure avec Lola. Santuzza, se sentant à la fois honteuse et rejetée, dénonce l’infidélité de Santuzza à son époux Alfio, qui dans le duel qui suit, tue Turiddu.

Damiano Michieletto intègre de nombreux détails significatifs à sa production. Par exemple, au cours de la procession de la statue de la Vierge Marie, elle prend vie pour pointer un doigt accusateur vers Santuzza. La foule fait mine de suivre, lorsqu’on réalise que chacun initie en fait un signe de croix. De même, quand Santuzza confesse avoir fauté auprès de la mère Turiddu, cette dernière fait du pain, de telle façon que chacune de ses actions comme le pétrissage, le fait d'essuyer ses mains ou de dénouer son tablier, paraisse comme autant d’hommages à la vie de famille.

Damiano Michieletto débute en outre la soirée en dévoilant l’image finale d’un Turiddu gisant. Une approche qui plonge l’intégralité de l’opéra dans un sentiment d’inéluctable, alors que nous assistons à une descente vers la tragédie finale – mais au prix d’une atténuation de l’horreur ultime dès lors que nous avons déjà assisté au terrible dénouement. Sans doute plus réussi, Michieletto suggère que les événements des deux opéras surviennent à seulement quelques semaines d’intervalle en utilisant intelligemment les Intermezzos des deux œuvres. Durant le premier acte de Cavalleria rusticana, on voit deux des personnages du second scénario se rencontrer pour la première fois, alors que dans Pagliacci, Santuzza se lamente sur la mort de Turiddu auprès de sa mère.

Pagliacci traite de son côté d’une troupe de comédiens itinérants. L’un d’eux, Tonio, aime l’actrice principale, Nedda, qui est mariée à Canio, le chef de la troupe. Pour autant, Nedda évite Tonio, au profit du villageois Silvio, et Tonio en est si déçu qu’il révèle l’aventure à Canio, quand bien même les deux restent ignorants de l’identité de l’amant secret. La trame progresse alors que les comédiens sont en scène : Canio demande le nom de l’amant de Nedda, parce que c’est ce que son rôle de Pagliacco exige de lui, mais de telle façon qu'on en vient à se demander s’il interprète ou non son personnage. Et alors que Nedda s’obstine à refuser de lui répondre, Canio la tue, tout comme Silvio qui se précipite pour la sauver et alors que Tonio déclare que « le rideau tombe ».

Damiano Michieletto installe la scène des comédiens dans une modeste salle de village, alors que tous les résidents locaux assistent à la représentation. Grâce à l’utilisation d’une scène tournante et de comédiens dédoublés, la pièce est donnée simultanément sur scène et en coulisses, contribuant ainsi à brouiller les lignes entre le jeu et la réalité. Ainsi, Canio formule ses accusations depuis l’auditorium alors que les spectateurs revêtent des masques et l’observent plutôt que de regarder la scène.

Si l’intelligence de la mise en scène contribue au succès de la soirée, le plateau vocal est à l’avenant. Les voix font montre d’une force exceptionnelle sur scène. Tant celle d’Aleksandrs Antonenko (qui incarne Turiddu et Canio) que celle de Dimitri Platanias (Alfio et Tonio) se démarquent par leur solidité, leur assurance, leur précision et leur projection, quand bien même leur tessiture respective de ténor et de baryton se manifeste de façon différente. Dans le rôle de Santuzza, le soprano d’Eva-Maria Westbroek est aussi riche que voluptueux, Carmen Giannattasio est simplement une Nedda de premier ordre alors qu’Elena Zilio (la mère de Turiddu), Martina Belli (Lola) et Dionysios Sourbis (Silvio) jouent tous pleinement leur partition. Au pupitre, la direction d’Antonio Papanno est superbe, et le fait que la production sera retransmise en direct le 10 décembre signifie que cette soirée exceptionnelle pourra être appréciée par tous les mélomanes à travers le monde.

Transduction libre de la chronique de Sam Smith

Cavalleria rusticana / Pagliacci | du 3 décembre 2015 au 1er janvier 2016 | Royal Opera House, Covent Garden

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading