Joyce DiDonato entre chant et nature au Théâtre des Champs-Élysées

Xl_eden-joycedidonato-cover © Couverture de l'album Eden

La mezzo-soprano a offert un concert hybride où la magie de son chant tentait de s’accorder à un message sur l’humanité, message malheureusement assez confus, en raison de la forme retenue.

Joyce DiDonato est, depuis longtemps, une artiste engagée ; une artiste qui s’est déjà illustrée dans la réforme des prisons, le sort des réfugiés ou encore le besoin d'éducation musicale pour tous. Au début de l’année 2022, avec son projet Eden qui s’articule entre un disque, une tournée et un programme de formation à destination des jeunes chanteurs, la chanteuse américaine s’est attelée à porter un message fort sur l’avenir de l’humanité (et notamment des jeunes) en lien avec le retour à la nature.

En 2014, devant l’auditoire de la Juilliard School, elle déclarait : "La vérité est que vous vous êtes engagé dans une vie de service en entrant dans les arts. Vous êtes là pour servir les mots, le compositeur, la mélodie, l'auteur, la progression des accords, le chorégraphe, mais surtout et surtout, à chaque souffle pris, à chaque pas forgé et à chaque coup de clavier, vous êtes ici pour servir l'Humanité. Vous êtes les serviteurs de l'oreille qui a besoin d'une consolation tranquille et de l'œil qui a besoin de la consolation de la beauté, des serviteurs de l'esprit qui a besoin d'un repos désespéré ou d'une enquête pointue, du cœur qui a besoin d'une invitation au combat ou d'une compréhension silencieuse, et de l'âme qui a besoin d'un atterrissage en toute sécurité ou d'une illumination sans peur et sans relâche."

Ainsi, le projet Eden est né d’une forte ambition, mais, pour ce passage au Théâtre des Champs-Élysées (et dix-neuvième concert de la série), l’on sent une certaine discordance entre un format récital (adapté) et les messages qu’elle veut porter. Le dispositif scénique retenu se rapproche plus d’un mini-show futuriste à l’américaine, avec une utilisation inhabituelle et impressionnante des projecteurs (lumières de John Torres).

Dans une mise en espace de Marie Lambert-Le Bihan, parfois un peu grandiloquente, elle évolue au sein d’une petite scène ronde et joue avec des éléments de décor sans doute censés représenter la circularité de notre écosystème. Certes alliée aux textes des airs eux-mêmes, cette scénographie cherche probablement à figurer l’environnement général, mais cela reste superficiel et, pour sa lisibilité, le propos aurait gagné à être mieux expliqué et vulgarisé (via un programme de salle par exemple plus adapté ou pourquoi pas, par une intervention pédagogique ?). 

Un programme idéal pour la voix de DiDonato

L’ambassadrice est allée collecter des chants en rapport avec le message universel et s’emploie, avec son extraordinaire sensibilité, à les faire vivre. De ce point de vue, la réussite est totale car le programme a été bâti avec une grande intelligence, dans une fluidité naturelle, sans laisser de place aux interruptions et applaudissements. Le timbre toujours somptueux de Joyce DiDonato fait résonner aussi bien le répertoire baroque qui lui est cher que les pièces plus contemporaines.  

Les airs dynamiques comme celui d’Adamo ed Eva de Josef Myslivecek ou celui issu de l’Ezio de Gluck sont de nouveaux exemples de son adéquation avec le baroque. L’artiste qui, à l’issue du concert, a rappelé ses attaches avec Paris, a ainsi magnifiquement chanté l’air « As with Rosy Steps the Morn » du Theodora de Haendel, un oratorio interprété ici même, en novembre 2021.

De l’autre côté de l’échelle temporelle, elle a passé commande d’une mélodie à Rachel Portman, une mélodie chantée en début de récital, qui donne le ton et porte le message d’« Eden ». Auparavant, une sorte d’éveil de notre attention fut sollicité au travers de « The Unanswered question », une pièce symphonique de Carles Eward Ives, dans laquelle la voix de la chanteuse se substituait à celle de la trompette. Au milieu de cela, deux incursions chez Malher (extraits des Rückert-Lieder) nous rappelaient à quel point la mezzo-soprano se trouve à son aise chez le compositeur autrichien.

Le choix de l’ensemble Il Pomo d’Oro (avec la belle direction de Zefira Valova) ne pouvait être mieux adapté au répertoire du jour. Il s’illustre aussi bien dans l’accompagnement de la chanteuse que dans certaines pièces orchestrales baroques telle, bien évidemment, La danse des spectres et des furies de L’Orfeo de Gluck. L’on admirera également la façon dont – en tenant compte des adaptations nécessaires –, cet ensemble interprète, avec toute la douceur requise, les morceaux de Portman, Malher, Ives, Copland.

Dans une conclusion faussement inattendue, Joyce DiDonato a accueilli sur scène le chœur d'enfants Sotto Voce qui a chanté « once, I was a seedling », une chanson réalisée lors d’un stage du projet Eden. La présence des représentants de la nouvelle génération illustrait bien, alors, l’un des pans de l’objectif affiché et le moment fut hautement consensuel.

Terminer le concert ne pouvait se faire qu’en apothéose. Et ce fut le « Ombra mai fu » de Haendel, chanté par une Joyce DiDonato, souveraine dans l’exercice, pour clôturer un beau moment de partage imaginé par une artiste de grande classe.

Paul Fourier
Paris, 5 octobre 2022

Joyce DiDonato et l'ensemble Il Pomo d'Oro au Théâtre des Champs-Élysées (5 octobre 2022)

 

 

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