Valentine Lemercier chante Carmen à la Fabrique Opéra, une nouvelle structure lyrique en Avignon !

Xl_carmen © La Fabrique Opéra / Hugues Castan

C’est un projet à la fois beau et courageux que cette association La Fabrique Opéra Avignon Provence, une nouvelle structure lyrique en Avignon née par la volonté d’un homme, le chef d’orchestre Vincent Fuchs (frère de Julie Fuchs), qui veut « faciliter l’accès à l’art lyrique au plus grand nombre », en intégrant des lycéens, des étudiants, des apprentis, des élèves d’écoles de musique ou d’ingénieurs, afin de « les faire travailler sous la direction d’une équipe artistique ». Pour son premier spectacle, quel titre mieux que Carmen pour assurer le maximum de succès au projet ? S’il n’est pas sans faille, avouons que le succès final est venu balayer les quelques scories du spectacle, la première d’entre elles étant une sonorisation peu au point, d’autant qu’elle ne semblait pas nécessaire, le moment où Don José chante en coulisse s’avérant plus audible que lorsqu’il se trouve au beau milieu de la scène ! Une scène ici bi-frontale, puisque l’action scénique se déroule en contrebas des deux gradins qui se font face, car telle est la configuration de la salle qui accueille le spectacle : La FabricA d'Avignon.

Signataire cet hiver d’une production peu convaincante de l’Orphée de Gluck au tout proche Opéra Confluence d’Avignon, la femme de théâtre avignonnaise Fanny Gioria se montre plus inspirée avec Carmen, comme si les contraintes inhérentes au lieu avaient été un aiguillon pour elle. A l’instar de la production de Jean-Louis Grinda vue quelques jours plus tôt au Théâtre du Capitole, Fanny Gioria opte pour le dépouillement et l’ascèse : un terre-plein jaune sable délimité par des palissades en bois de couleur rouge sang, et une mini estrade sur la gauche où viennent parfois jouer les comédiens, et notamment une danseuse à la gestuelle plus souvent inspirée par la danse contemporaine que flamenca. Pour le reste, Gioria parvient à rendre visuellement l’essence de l’œuvre de Mérimée et de Georges Bizet. Carmen est une corrida continue. Don José court après Carmen, la gitane après Escamillo, et cela s’achève par une double mise à mort. Grâce aux gradins et à cet espace central, le public se croit dans une arène, si ce n’est qu’elle prend la forme d’un rectangle au lieu d’être arrondie. La scène de la montagne est moins réussie, avec l’utilisation d’un rideau de lianes dans lesquelles viennent s’empêtrer les perruques ou les chaussures des comédiens-chanteurs… Enfin, on ne saura pas si elle signe elle-même les éclairages (aucune info n’est donnée à ce sujet dans le programme de salle…), mais il convient de les évoquer, car ils suppléent efficacement aux décors, en donnant de la mobilité au spectacle...

Mais l’on venait surtout pour la Carmen de Valentine Lemercier – qui s’est confiée à nous lors d’un entretien –, et l’on n’a pas été déçu : la jeune mezzo nîmoise ajoute à d’évidents dons d’actrice la beauté d’un timbre, certes clair, mais chaud et velouté dans les mezze voci, et néanmoins vibrant dans les sonorités les plus graves. La déclamation – l’opéra est donné dans sa version avec dialogues parlés (mais ici réécrits et modernisés... de façon pas toujours heureuse !) –, la gestuelle, l’allure sont dignes d’une actrice de cinéma, à la sensualité irrésistible, surtout dans la scène de la taverne de Lillas Pastia. Fraîche, ardente, tour à tour impétueuse et réfléchie, souriante et angoissée, cette Carmen ne connaît que peu de faiblesses. Bref, la chanteuse est une Carmen sur laquelle on peut désormais compter !

Le ténor français Olivier Montmory n’a pas à rougir de sa prestation face à sa consoeur, avec sa belle voix typique de « ténor de caractère », mais il ne possède en revanche pas tout à fait la même ardeur scénique. Il a néanmoins pour atout une diction précise, un timbre enjôleur, et un bel art de la demi-teinte, dont il gratifie l’auditoire dans le célèbre air « La fleur que tu m’avais jetée ». Dotée d’une jolie voix, fraîche et fruitée, la soprano Pauline Ferracci ne dispose pas exactement du matériau vocal exigé par le personnage de Micaëla, qui se doit d'être autrement ample et corsé, et elle ferait certainement mieux de se tourner vers Olympia ou Norina, plus en accord avec ses moyens actuels. De son côté, le baryton Fabrice Alibert campe un Escamillo hâbleur et satisfait dans la tradition française. Des nombreux comprimari, l’on sortira du lot le Zuniga d’Adrien Djouadou, très à l’aise dans le rôle, et doté d’une voix de basse solide et bien timbrée.

Malgré quelques petits décalages impossibles à éviter au vu de la configuration des lieux, Vincent Fuchs est l’authentique protagoniste de la soirée aux côtés de Valentine Lemercier : à la tête de l’Orchestre et du Chœur (très perfectible) de La Fabrique Opéra Avignon Provence, sa lecture marie couleur et équilibre entre l’intimisme de certaines scènes et l’éclat des tableaux de foule.

Vivement maintenant la seconde édition de cet attachant projet, le titre sera dévoilé très prochainement sur le site de La Fabrique Opéra nous a promis Vincent Fuchs dans un petit discours à l’issue de la soirée !

Emmanuel Andrieu

Carmen de George Bizet à La FabricA d’Avignon, jusqu’au 21 avril 2018

Crédit photographique © Hugues Castan
 

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