Une Semiramide de haute volée à l'Opéra de Lausanne

Xl_maria_grazia_schiavo_et_marina_viotti_dans_semiramide___l_op_ra_de_lausanne © Emmanuel Andrieu

Disons-le d’emblée, Semiramide de Gioacchino Rossini est un sommet de la littérature lyrique qu’il convient, tant pour les spectateurs qui se rendent à l’une des représentations (épisodiques) de l’ouvrage que pour les artistes qui osent s’y confronter, d’aborder avec autant de révérence que de hardiesse. La révérence, on l’éprouve vis-à-vis de l’œuvre, qui marque l’aboutissement de la carrière italienne de Rossini avant qu’il n’aille s’installer à Paris, apothéose d’un âge d’or du chant virtuose et voie déjà ouverte à Bellini et plus tard Verdi. La hardiesse, on l’attend des interprètes vocaux soucieux de redonner à ce monument aux proportions majestueuses qui, dans le détail de son architecture, leur réserve de redoutables pièges. Il ne leur suffira pas d’avoir l’énergie nécessaire à ce long parcours de quatre heures de musique (réduites ici à 3h30) sur les traces de la tragédie de Voltaire (1748), ils doivent faire preuve d’initiative et, bien sûr, de goût, notamment dans les nombreuses ornementations de leurs airs particulièrement ardus.

Le plateau vocal réuni à l’Opéra de Lausanne par Eric Vigié suscite l’enthousiasme hors l’Oroe de la basse lausannoise Raphaël Hardmeyer, à la voix certes impressionnante, mais à la ligne de chant complètement débraillée. Deuxième et dernière déception de la soirée, pourquoi avoir soustrait à l’excellent ténor argentin Francisco Brito son air du I « Dov’è il cimento », alors que son second, à l'acte deux (« La speranza piu soave »), démontre qu’il a toutes les qualités du ténor rossinien pour l’affronter sans difficulté : facilité dans l’aigu, joliesse du timbre et virtuosité dans les vocalises ?

La soprano napolitaine Maria Grazia Schiavo est une belle surprise dans le rôle-titre, et la voix s’est considérablement élargie depuis les dernières fois que nous l’avons entendue (dans des œuvres essentiellement baroques) ; elle impressionne en termes d’aisance et de puissance, et ses accents vibrants, ses couleurs persuasives emportent l’adhésion. Dommage que son grand air « Bel raggio lusnighier », l’un des plus beaux moments de la soirée, soit couronné par un suraigu particulièrement strident (visiblement sous le poids du stress). De fait, elle se fait voler la vedette par l’extraordinaire Arsace de la mezzo franco-suisse Marina Viotti – dont on suit la carrière fulgurante depuis sa Rosina strasbourgeoise en 2018. D’une audace toujours plus croissante au fur et à mesure de la représentation, son Arsace émerveille par la précision de la moindre colorature, par l’amplitude de sa tessiture de l’extrême grave au suraigu, par un souffle qui paraît infini, par l’opulence de la voix et la beauté intrinsèque du timbre, et tout simplement par l’équilibre parfait de son mezzo rayonnant. Seul chanteur pour qui ce n’était pas là une prise de rôle (il a chanté Assur notamment à l’Opéra de Marseille), la basse italienne Mirco Palazzi ne fait qu’une bouchée de sa partie, avec son grain de voix palpitant et son mordant ravageur, mais le haut de la tessiture a du mal ce soir à franchir un certain plafond de verre (fatigue ?). La distribution est efficacement complétée par la délicate Azema d’Ornella Corvi (dont les interventions sont cependant ici réduites à la portion congrue) et par deux membres du chœur : le ténor Jean Miannay (Mitrane), au joli ténor fleuri, et la basse Joshua Morris (Ombra di Nino), aux graves d’outre-tombe. 

La réussite de la soirée doit également beaucoup au chef italien Corrado Rovaris. À la tête d’un Orchestre de Chambre de Lausanne éblouissant et d’un Chœur de l’Opéra de Lausanne excellent, il fignole chaque accent et chaque détail instrumental. Surtout, il réalise le tour de force de restituer Semiramide dans ses exactes proportions, sans jamais laisser retomber la tension dramatique. Un mot, enfin, sur les réalisations vidéo conçues par Gianfranco Bianchi, projetées sur un immense écran placé derrière le chœur : elles viennent recréer une Babylone de légende, en images de synthèse, et si elles ne gênent pas (à part pendant l’ouverture où elles accaparent par trop l’attention), elles ne suscitent pas non plus grand intérêt et le regard (et les oreilles !) retournent vite vers les brillants chanteurs en contrebas – une équipe vocale saluée par les nombreux et chaleureux rappels d'un public chauffé à blanc malgré la longueur du spectacle !

Emmanuel Andrieu

Semiramide de Gioacchino Rossini à l’Opéra de Lausanne, le 6 février 2022

Crédit photographique © Emmanuel Andrieu

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