Un Werther « météorisé » à l'Opéra Nice Côte d'Azur

Xl_t._bettinger_et_ana_k_morel_dans_werther___nice © Dominique Jaussein

Après leurs étonnantes réalisations de L’Enfant et les sortilèges à Montpellier ou de La Cenerentola à Genève (diversement appréciés par le public et la critique), on se demandait à quelle sauce le duo Sandra Pocceschi et Giacomo Strada allait manger Werther à l’Opéra Nice Côte d’Azur. Dès le lever du rideau, on comprend que leur lecture sera tout sauf conventionnelle, et c’est dans l’étrange serre d’un monde apocalyptique qu’ils situent l’action de l'ouvrage goethien.

Aidé de Johann et Schmidt, le Bailli y cultive fruits et légumes grâce à un astre artificiel qui règle les saisons. Mais tout ici a la force du symbole et c’est inversement l’élément minéral qui régit, implacablement, la vie des deux héros qui s’agrippent à un rocher pendant leurs déchirants adieux. La scène la plus remarquable reste celle où, pendant le prélude de l’acte IV, l’on voit une météorite terminer sa course folle dans la serre, écrasant Werther en lieu et place du suicide par arme à feu voulu par le livret. Une mort poétique et symbolique diversement appréciée par une partie du public, d’autant que les deux compères font ressusciter le héros que l’on voit prendre place au sommet du météore dans la même position que le fameux tableau de Caspar David Friedrich « Voyageur contemplant une mer de nuages » qui se superpose bientôt – en la remplaçant – à l’image de l’acteur prenant la pose…

Quel chemin parcouru par le jeune ténor Thomas Bettinger depuis ses fracassants débuts dans Tosca à l’Opéra de Saint-Etienne en 2015. La voix est toujours aussi puissante mais s’est formidablement assouplie, lui permettant un luxe de nuances de demi-teintes qui sidèrent (la plupart du temps émises en voix de tête). À cela, il faut ajouter la qualité du timbre, la poésie du phrasé, une netteté de la diction, et un jeu d’acteur aussi investi qu’abouti, qui en font un des Werther parmi les plus plausibles du moment. Déjà Charlotte à l’Opéra national du Rhin il y a trois ans dans une production tout aussi énigmatique, Anaïk Morel se montre à Nice dans une forme vocale encore plus somptueuse qu’à Strasbourg, apportant à son personnage une chaleur toujours aussi enivrante et une puissance dans l’aigu qui font de son acte III un spectaculaire moment de chant. Là aussi la prononciation de la langue de Molière est parfaite, avec une ligne de chant constamment maîtrisée et habitée jusque dans ses plus subtiles inflexions, et l’actrice se révèle particulièrement émouvante. Le baryton niçois Jean-Luc Ballestra se montre tout aussi exceptionnel en Albert, avec une voix mordante mais d’une séduction néanmoins prenante, et une ligne de chant toujours scrupuleusement contrôlée, même lors des éclats du personnage. La Sophie de la jeune soprano Jeanne Gérard, nommée aux dernières Victoires de la Musique classique, s’avère d’une musicalité infaillible, avec un timbre un peu plus corsé que de coutume dans cet emploi, qui l’éloigne des mièvreries d’usage. De son côté, Ugo Rabec incarne un Bailli plus jeune que d’habitude, et corrélativement une voix plus solide, tandis que Laurent Deleuil et Thomas Morris s’en donnent à cœur joie dans le comique duo de Johann et Schmidt.

Même réduit de moitié (dans une transcription de Petter Ekman), l’Orchestre Philharmonique de Nice ne sonne jamais « petit », accomplissant au contraire des merveilles, en jouant avec les couleurs et les textures de cette palpitante partition. Le chef québécois Jacques Lacombe, grand spécialiste de l’ouvrage, confère au chef-d’œuvre de Jules Massenet tout son dramatisme, révélant avec maestria la passion et le désespoir qui imprègnent le drame, tout en tissant également un tapis de sonorités envoûtantes quand l’ouvrage l’exige.

Emmanuel Andrieu

Werther de Jules Massenet à l’Opéra Nice Côte d’Azur (juin 2021)

Crédit photographique © Dominique Jaussein

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