Un Vaisseau fantôme aquatique au Théâtre Graslin de Nantes

Xl_446a3553 © Laurent Guizard

C’est avec Le Vaisseau fantôme que se clôt, non seulement la saison d’Angers Nantes Opéra, mais aussi la collaboration avec l’Opéra de Rennes, puisque l’institution des Pays de la Loire aura partagé les principaux titres de sa saison avec la structure bretonne - dont l’ouvrage de Richard Wagner. Annoncée pas plus tard qu'hier, la saison 19/20 confirme le rapprochement des deux maisons et ce sont à nouveau cinq titres qu’elles produiront ensemble (et présenteront tour à tour). La collaboration va jusqu’au prêt de leur orchestre respectif puisque si l’Orchestre Symphonique de Bretagne est en fosse ce soir au Théâtre Graslin de Nantes, c’est celui des Pays de la Loire qui sera dans la fosse de l’Opéra de Rennes pour le Hamlet (d’Ambroise Thomas) d’ouverture de saison.

Et à tout seigneur tout honneur, c’est bien l’orchestre breton qui nous semble le héros de la soirée, sous la battue fiévreusement romantique du chef bavarois Rudolf Piehlmayer, qui fait chanter la phalange, mettant en valeur la diversité des coloris, sans pour autant négliger les tempêtes qui accompagnent la malédiction du Hollandais. Nous avons été vraiment impressionnés par ses qualités techniques !

Provenant du Théâtre de Hagen (dans la Ruhr) et confiée aux sœurs Blankenship (Beverly et Rebecca), la production s’avère aussi sobre qu’efficace, entièrement aquatique, puisque les protagonistes évoluent (bottes aux pieds) dans quelques 20.000 litres d’eau répandue sur la scène (mais contenue et chauffée, que le lecteur se rassure !…). Si le principe avait déjà été utilisé par Alex Ollé pour un célèbre Pelléas à la Semperoper de Dresde, avouons que l’effet est saisissant et le concept encore plus pertinent ici, pour l’opéra tout maritime qu’est Le Vaisseau fantôme. Quasi aucun décor supplémentaire, si ce n’est des cordes tombant des cintres et que tirent les marins au I, cette poulie centrale que les fileuses du II entourent avec ces mêmes cordes, ou encore, au III, cette grande vasque d’où sortent des flammes et qui permet la rencontre de deux éléments antagonistes, ici lourde de symbole. Notons par ailleurs que, avec ses dimensions relativement modestes et le rapport de proximité qui relie le public à l’orchestre et aux chanteurs (l’effet devait être encore plus saisissant à Rennes…), le Théâtre Graslin permet une approche de Wagner impossible dans un espace plus vaste. Même si le mot peut surprendre à propos d’un compositeur d’une telle envergure, il y a là une sorte d’intimité qui restitue à cet opéra de 1843, des racines plus anciennes. L’élément simplement humain l’emporte ici sur le grandiose et, pour passer la rampe, les voix n’ont plus à accentuer leur propre héroïsme.

C’est d’autant mieux venu que la distribution réunie, si brillante soit-elle, ne possède toujours pas le grand format wagnérien requis, surtout si elle avait dû se produire à l'Opéra Bastille ou au Corum de Montpellier par exemple. C’est ainsi le cas de Martina Welschenbach, qui compense cependant son manque de volume (notamment dans la fameuse Ballade) par une pugnacité et un engagement physique de tous les instants : cette Senta finit par s’imposer grâce à sa détermination, outre le fait que la voix est lumineuse et délectable à souhait... mais aussi d’une vaillance inépuisable jusqu’au finale. Semblant porter sur ses épaules tous les malheurs du monde, le baryton letton Almas Svilpa est un hollandais plus fatigué que satanique, et sa voix ample sait trouver des accents d’une profonde tristesse. Dans le rôle de Daland, la basse allemande Patrick Simper n’a pas exactement les graves requis par sa partie, mais il sait rendre, par son jeu, le côté sordide de son personnage, comme le moment où il oblige sa fille à écarter les cuisses pour mieux la « vendre » au Hollandais. De son côté, le ténor australien Samuel Sakker manque également d’éclat et de puissance, mais aussi de lyrisme et de séduction vocale, qualités pourtant nécessaires au personnage d’Erik, l’amoureux éconduit. Enfin, la vétérane Doris Lamprecht restitue à Mary sa solidité, et il suffit d’un air bref à Yu Shao pour nous donner l’envie de le réentendre dans des emplois plus importants que celui du Timonier.

Enfin, sous la direction conjuguée de Xavier Ribes (pour le Chœur d’Angers Nantes Opéra) et de Gildas Pungier (pour le Chœur Mélisme(s) basé à Rennes), la masse chorale apporte une contribution exemplaire à cette représentation d’un Fliegende Holländer rendu à ses dimensions humaines. Elles n’en sont pas moins troublantes…

Emmanuel Andrieu

Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner au Théâtre Graslin de Nantes, jusqu’au 13 juin 2019 (cette dernière représentation sera diffusée en direct sur écran géant dans une quarantaine de villes de l’Ouest de la France)

Crédit photographique © Laurent Guizard

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