Un Samson et Dalila (trop) politique à l'Opéra national du Rhin

Xl_samsong_n_rale-7125hdnpresse © Klara Beck

Pour cette nouvelle production de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns, Marie-Eve Signeyrole reprend les recettes qui avaient fait le « succès » de son Nabucco lillois il y a deux saisons, c’est-à-dire une recontextualisation moderne et politique du livret et un usage de tous les instants de la vidéo. Samson (en fauteuil roulant et grimé façon Joker) est ici le chef des Insurgés, en butte contre le Parti Conservateur dont Dagon est le chef corrompu. Nous sommes en pleine période électorale (on ne peut pas s’empêcher de penser à certaines échéances bien actuelles…), et dans cette lutte pour le pouvoir, Dalila est la directrice de campagne de Dagon, tandis que le Grand-Prêtre fait office de principal conseiller politique d’un parti prêt à tout pour arriver à ses fins. Selon un procédé de plus en plus récurrent, une équipe de vidéastes filme en permanence l’action scénique qui est projetée en live sur un écran géant qui s’étire sur toute la largeur haute du plateau (photo). A l’image du Nabucco précité, l’on est à la fois séduit par la virtuosité du procédé (et par la brillante direction d’acteurs), mais c’est souvent au détriment du chant et de la musique qu’elle s’exerce, car l’attention est sans cesse accaparée par ces images, en plus d’un plateau scénique aussi tournant que virevoltant… ce qui est un comble pour un ouvrage habituellement considéré comme trop statique ! Quant à la dimension religieuse, pourtant essentielle dans le livret, elle est tout simplement balayée ici, remplacée par une unilatérale composante politique, éludant ainsi le véritable sujet du drame biblique…  

La partie musicale répond plus à nos attentes, à commencer par la baguette de la cheffe française Ariane Matiakh (que nous avions plébiscitée in loco dans Werther il y a deux ans), placée à la tête d’un Orchestre Symphonique de Mulhouse réduit ici de moitié afin de remplir le cahier des charges sanitaires. Malgré cela, elle conduit la formation alsacienne (ainsi qu'un formidable Chœur de l'Opéra national du Rhin placé dans les deux derniers balcons du théâtre) avec une netteté et une dynamique respectueuse des ardeurs et des profondeurs, mais aussi des séductions d’une partition multiforme.

Formidable dans le rôle-titre du Werther précité, le ténor italien Massimo Giordano triomphe également de l’impossible rôle de Samson, qu’il incarne avec beaucoup de vaillance, notamment dans un superbe « Air de la meule », mais aussi de douceur, comme dans son long duo du II qu’il conclue par un « Je t’aime » susurrée du bout des lèvres, au lieu de la note forte généralement admise. Nous serons plus réservés sur sa Dalila, la mezzo serbe Katarina Bradic, qui ne possède ni le velouté ni la sensualité requis ici par le timbre (surtout dans le duo), pas plus que la puissance et les graves que le reste de la partition appelle. Par ailleurs, tous les suraigus sont criés, ce qui finit d’enfoncer le clou. On rend les armes, en revanche, devant le Grand-Prêtre du baryton français Jean-Sébastien Bou dont la déclamation lyrique française, et surtout le soin qu’il prend à chanter « grand » plutôt que « gros », font mouche sur l’auditoire. Enfin, la basse wallonne Patrick Bolleire est un Abimélech solide tandis que son collègue polonais Wojtek Smilek incarne de manière aussi prégnante que sonore le Vieil Hébreux.

Emmanuel Andrieu

Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 8 novembre 2020

Crédit photographique © Klara Beck

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