Un cosi fan tutte en mode baba-cool à l'Opéra de Saint-Etienne

Xl_cosi © Cyrille Cauvet

Assistant de Robert Carsen sur la plupart de ses derniers spectacles, le comédien-metteur en scène Christophe Gayral signe cette fois « à part entière » cette nouvelle production de Cosi fan tutte commandée par Eric Blanc de la Naulte pour l’Opéra de Saint-Etienne (qu’il dirige depuis janvier 2015). Gayral transpose l’intrigue dans les années 70 pendant la vague baba-cool et hippie : c’est l’époque du Polaroïd, dont les deux sœurs usent et abusent, qui ressurgit sous nos yeux, tandis que des couples libres et fortement dénudés (formés par six acteurs et actrices) s’ébrouent lascivement, par intervalles, dans le luxueux salon (avec vue sur mer) des deux héroïnes. Les tenues des uns et des autres sont typiques de l’époque… et mettent tout le monde sur un pied d’égalité, puisque Despina porte un short (très) court, toujours un joint aux commissures des lèvres… La scène du mariage final prend elle des allures de Bollywood, avec un chœur qui envahit le plateau en portant des costumes indiens aux couleurs vives et des pancartes affichant des messages tels que Peace and Love ou Let it be… Bref, nul message philosophique ici, et encore moins de leçon amère, mais la pure liberté du sentiment amoureux et du désir charnel (tempérée cependant par l’ultime image qui montre les deux tourtereaux se désintéresser de la liesse collective qui se déroule derrière eux… pour se précipiter devant la télévision du salon et regarder, en bons potes, un match de football !...)

Laurent Alvaro, vétéran du plateau, incarne un Don Alfonso macho et bravache, habillé et grimé en Magnum (le fameux héros de la série éponyme des années 80), très à l’aise scéniquement, mais dont la voix n’a pas exactement le moelleux ni la facilité attendus dans cette partie. Tous ses partenaires (autour de la trentenaire) font (quasi tous) leurs débuts dans leur rôle, et il est émouvant de voir émerger cette nouvelle génération de chanteurs. La Despina délurée de Pauline Courtin arbore un timbre délicieusement fruité et piquant. Marion Lebègue campe une explosive Dorabella, capable de belles envolées dans son grand air « Smanie implacabili », et sa voix se marie parfaitement à celle de sa sœur Fiordiligi. La jeune Elodie Hache - Blanche de La Force ardente et Salomé de feu sur cette même scène -, déconcerte d’abord avec son instrument inhabituellement puissant pour le personnage de Fiordiligi, que l’on associerait plus volontiers à Verdi voire à Puccini ; mais la sincérité et l’émotion de son incarnation, sans oublier sa discipline technique, emportent rapidement l’adhésion. De son côté, Marc Scoffoni est un parfait Guglielmo, spirituel sans lourdeur, et à la voix tour à tour mordante ou mordorée. Enfin, le jeune ténor italien Marco Ciaponi (vivement remarqué lors de son Duc de Mantoue toulonnais) s’affirme déjà comme l’un des meilleurs ténors légers de sa génération. Son Ferrando possède toute l’élégance rêveuse et mélancolique que l’on associe à son personnage, et il chante l’intégralité du rôle avec une rare facilité. Le timbre est charmeur, l’aigu assuré autant qu’onctueux, et seule l’aisance scénique demande encore à s’affirmer pour que le chanteur puisse prétendre aux plus hauts podiums.

En fosse, la direction du chef chilien José Luis Dominguez Mondragon n’appelle que des éloges, tantôt vive sans être précipitée, tantôt intensément poétique, toujours à l’écoute des chanteurs et, plus généralement, du plateau. Une bonne part du formidable succès dont bénéficie la production au moment des saluts lui revient de plein droit.

Emmanuel Andrieu

Cosi fan tutte de Wolfgang Amadeus Mozart à l’Opéra de Saint-Etienne (février 2019)

Crédit photographique © Cyrille Cauvet

 

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