Triomphale reprise du Don Carlo de Charles Roubaud à Marseille

Xl_v._abrahmyan_et_c._isotton_dans_don_carlo___l_op_ra_de_marseille © Christian Dresse

Créée à l’Opéra de Bordeaux en 2015 et reprise à Marseille deux ans plus tard, l’austère production de Don Carlo par Charles Roubaud revient dans la cité phocéenne pour clôturer en majesté une enthousiasmante saison 21/22 ! La mise en scène d’une sobriété exemplaire, mais forte, se montre toujours aussi fonctionnelle, les chanteurs pouvant s’y glisser sans avoir à beaucoup s’employer sur le plan dramatique. La chape de plomb qui semble ici étouffer tous les personnages, en les isolant les uns des autres, n’y aide de toute façon pas !

A part un rôle (celui de Philippe II), la distribution a été entièrement renouvelée par Maurice Xiberras, au sein de laquelle la soprano italienne Chiara Isotton, dans le rôle d’Elisabetta, constitue une véritable révélation. Elle campe la reine d’une manière extrêmement émouvante et l’on croit de bout en bout à son personnage, dont le moindre des accents émeut. Car la chanteuse possède une voix radieuse et admirablement conduite, nous gratifiant de quelques aigus filés mémorables, ou de quelques graves particulièrement sonores, avec les mêmes naturel et facilité. Avec un physique avenant et donc idéal pour incarner Carlo, le ténor argentin Marcelo Puente traverse les quatre actes (de la version italienne ici retenue) avec crânerie, malgré une curieuse façon d’aborder les (très nombreuses) envolées vers l’aigu. Son chant reste toujours racé, et son phrasé soigné rend parfaitement justice à la noblesse de son personnage.

La noblesse est également la qualité principale du Posa de l’excellent baryton français Jérôme Boutillier : son vibrant plaidoyer pour une Flandre libre, sa manière d’envelopper de nostalgie sa grande scène dans la prison, rendent son personnage intensément présent. La netteté de l’articulation, la ligne scrupuleusement surveillée, et la perfection du legato sont un vrai régal pour nos oreilles, et placent son Posa sur les sommets. De son côté, la mezzo arménienne Varduhi Abrahamyan incarne une Eboli au tempérament affirmé qui croque avec une précision de dentellière les vocalises de la « chanson du voile », avant de se lancer à corps perdu dans un « O don fatale » qui fait sortir le public de sa réserve. Seul « rescapé » de l’édition 2017, Nicolas Courjal incarne un Philippe II cassant, résolument antipathique, ce qui ne l’empêche pas d’émouvoir dans son air « Ella giammai m’amo », malgré une tendance à chanter forte comme sa voix d’airain l’y prédispose. La basse coréenne Simon Lim offre un Grand Inquisiteur monolithique, aux graves d’outre-tombe, tandis que Jacques-Greg Belobo prête sa voix de stentor au Moine. D’excellents comprimari, ainsi qu’un chœur maison aux interventions d’une remarquable cohésion, complètent avec bonheur cette solide distribution.

Pilier musical de la maison marseillaise (sans en être le directeur musical), le chef italien Paolo Arrivabeni impose au drame schillérien un rythme soutenu, auquel un admirable Orchestre Philharmonique de Marseille se plie souplement, avec une richesse de coloris qui séduit fortement. Avec un métier aguerri, il se montre autant attentif à l’architecture d’ensemble de la partition de Giuseppe Verdi qu’au confort global des chanteurs.

Conquis et heureux, le public marseillais fait un triomphe au spectacle !

Emmanuel Andrieu

Don Carlo de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Marseille, jusqu’au 11 juin 2022.

Crédit photographique © Christian Dresse

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