Thaïs à Monte-Carlo : Tézier, Rebeka, Borras... trio gagnant !

Xl_m._rebeka___l._t_zier_dans_tha_s___monte-carlo__2021_-_alain_hanel © Alain Hanel

En 1894, Louis Gallet signait le livret de Thaïs, adapté du roman d’Anatole France pour en faire cette fable médiocrement édifiante de la courtisane sauvée et du moine damné. Si la séduction des ouvrages de Jules Massenet opère toujours, l’anticléricalisme du romancier semble aujourd'hui avoir mal vieilli. Et c’est toute l’intelligence de cette nouvelle production de l’Opéra de Monte-Carlo, que le maître des lieux Jean-Louis Grinda s’est auto-confiée, que d’éviter les poncifs, de gommer les rides et de dégager de nouvelles lignes de force de l’ouvrage – ce combat de l’Archange et du Démon où tout bascule à mi-parcours, justifiant les pronostics de Palémon : « Ne nous mêlons pas, mon fils, aux gens du siècle ».

Grand spécialiste de ce répertoire, comme on l’a maintes fois souligné pendant son long mandat tourangeau, le chef Jean-Yves Ossonce opte pour la version intégrale de l’ouvrage, comprenant l’apparition vocalisante de la Charmeuse (impeccable Jennifer Courcier). Le tissu orchestral, peut-être le plus achevé du compositeur stéphanois, est déroulé par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo avec ampleur et impétuosité, sans jamais exclure la respiration des nuances. Des nuances qui sont par ailleurs légion sous l’archet de Liza Kérob dans la fameuse Méditation de Thaïs

Mais s’assurer du succès, c’est aussi distribuer Athanaël à un Ludovic Tézier au zénith de ses moyens, chez lequel la rigueur de l’expression s’allie harmonieusement à l’éclat impérieux du timbre, tranchant comme une lame. On demeure aussi impressionné de la manière dont il passe du récit à son air, sans ruptures de ton, dans « Toi qui mis la pitié de nos âmes », sans parler de son legato majestueux, et de sa formidable capacité à émouvoir par sa seule présence. Un immense Athanaël !
Dans le rôle de la prostituée repentie, la soprano lettone Marina Rebeka impressionne également : il y a chez elle une facilité technique, des aigus éclatants allant jusqu’au contre-Ré (émis sans tension aucune), quelque chose de charnu dans le timbre et de sensuel qui convient aussi bien à la bravoure du « Dis moi que je suis belle » qu’à la sensibilité de « Nous nous sommes aimés une longue semaine » et de « Qui te fait si sévère ». Et le public monégasque a pour elle les yeux, sinon d’Athanaël, du moins de Nicias !
Avec une voix superbement timbrée et sa magnifique ligne de chant, Jean-François Borras nous rappelle par ailleurs que Nicias n’est pas l’apanage exclusif des tenorini, le rôle ayant été créé en son temps par un heldentenor. De leurs côtés, Cassandre Berthon (Crobyle) et Valentine Lemercier (Myrtale) offrent un chant assuré, tandis que Philippe Khan (Palémon) et Marie Gautrot (Albine) complètent avec talent la distribution. Et il n’y a rien à (re)dire du Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo (avançant non masqué), toujours aussi parfaitement préparé par Stefano Visconti.

Quant à la production de Jean-Louis Grinda, fidèlement épaulé par Laurent Castaingt pour les décors et les éclairages, elle veille à resserrer et à rendre cohérente l’action dramatique (quand bien même les ballets, intelligemment réglés par Eugénie Andrin, sont ici conservés), mais aussi à la vraisemblance psychologique des personnages et des situations. La grotte des cénobites des premier et dernier tableaux impressionne la rétine, avec ses lumières rasantes sur les parois qui sont un évident hommage au fameux « noir lumière » des tableaux de Pierre Soulages. Au deuxième tableau, la maison de Nicias à Alexandrie s’avère également un régal pour les yeux, une Alexandrie ni réaliste ni à l’exotisme de pacotille, mais à l’imaginaire à la fois luxueux et raffiné. Les autres décors, tel le palais de Thaïs tout en draperies vertes à l’image de sa somptueuse robe couleur émeraude (costumes signés par Jorge Jara), donnent un indéniable raffinement à cette production. Une mention, enfin, pour les toujours très élégantes images vidéo conçues par Gabriel Grinda, le talentueux fils de l’homme de théâtre monégasque.

Emmanuel Andrieu

Thaïs de Jules Massenet à l’Opéra de Monte-Carlo, jusqu’au 28 janvier 2020

Crédit photographique © Alain Hanel

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