Platée à l'Opéra national du Rhin

Xl_plat_e4 © Alain Kaiser

Une grande majorité du public s'est franchement amusé et a tout aussi franchement manifesté son enthousiasme à l'issue de la dernière de Platée, donnée au Théâtre de la Sinne à Mulhouse, dans la production de Mariame Clément, étrennée en 2009 à Strasbourg. Il est de fait difficile de nier que le spectacle de cette « comédie lyrique » ou « ballet bouffon » de Jean-Philippe Rameau – dont on fête cette année les deux cent cinquante ans de la mort – est particulièrement réjouissant, avec d'indéniables réussites visuelles et autres gags hilarants, de surcroît parfaitement adapté aux exigences d'un public contemporain.

Avec Platée – créé au château de Versailles le 31 mars 1745, à l'occasion du mariage du Dauphin fils de Louis XV avec l'Infante Marie-Thérèse d'Espagne – naît le projet d'une réalisation qui vise à corriger les défauts des humains en se servant du mauvais exemple des dieux : ici la jalousie de Junon mise à l'épreuve par son mari Jupiter à travers son grotesque mariage avec la nymphe batracienne Platée, dont la laideur n'entame en rien l'outrageuse vanité, défaut exploité avec cruauté par le roi des Dieux. Platée est ainsi une de ces victimes tournées en dérision, dont l'opéra-bouffe a fait depuis toujours son miel !

Mariame Clémént et Julia Hansen, sa décoratrice et conceptrice des costumes, situent l'action dans l'amérique triomphante et consumiériste des années cinquante. Dans le Prologue, Jupiter et Junon habitent une maison cossue, dotée de tous les symboles modernes de l' « american way of life ». L'irruption de Platée à l'acte I est saisissant : l'aquarium du salon, par un effet scénique ingénieux, est démesurémént agrandi, et on y découvre Platée sortant d'un nénuphar. Les gags et les idées insolites vont bon train - Amour sortant d'un congélateur mural, Jupiter arrivant dans une Thunderbird, ambassade de Momus flanqué d'un orchestre mexicain, fausses noces qui se déroulent dans un coffee shop... -, mais la machine s'emballe peut-être un peu (trop) dans le dernier acte, qui  vire au grand guignol, avec l'apparition de Superman, d'Albert Einstein, du Dalaï-Lama ou encore de Jean-Paul II !

Le ténor aigu d'Emiliano Gonzalez-Toro – déjà présent en 2009 – trouve un emploi idéal dans le rôle de la nymphe : maquillé en première partie comme un personnage de cauchemar, il n'en demeure pas moins humain de bout en bout, avec un style impeccable et une diction absolument exemplaire. Andrew Schroeder se montre tout aussi convaincant en Jupiter, le sérieux de ses attitudes conférant un surcroît de crédibilité à ses avances amoureuses. De son côté, Ana-Camelia Stefanescu brille dans les aigus stratosphériques du personnage de la Folie, tandis que le toujours excellent Cyril Auvity nous gratifie de son timbre suave et de son articulation parfaite. Dommage enfin, pour la formidable mezzo française Isabelle Druet, que Junon ait si peu à chanter, alors que son numéro de maîtresse de maison dépassée par les évènements, au I, restera en mémoire.

Dernier et principal bonheur de la soirée, la baguette de Christophe Rousset qui offre – après une ouverture virtuose et virevoltante – des tempi qui respirent l'évidence durant toute la soirée. On admire également le grand souci porté aux timbres instrumentaux, et de manière plus générale la qualité du travail accompli sur le magnifique ensemble que sont Les Talents lyriques, ainsi que sur le Chœur de l'Opéra national du Rhin, aussi brillant qu'irréprochable ce soir. N'oublions pas de mentionner, car elles participent pleinement à la réussite de la soirée, les formidables et drôlatiques chorégraphies imaginées par Joshua Monten.

Emmanuel Andrieu

Platée à l'Opéra national du Rhin

Crédit photographique © Alain Kaiser

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