Philippe Jaroussky dirige Il Primo omicidio de Scarlatti à Montpellier – et c'est un triomphe !

Xl_philippe_jaroussky_dirige_il_primo_omicidio___montpellier © Marc Ginot

C’est par un concert triomphal que débute la résidence artistique à l’Opéra Orchestre national de Montpellier, pour trois ans, de Philippe Jaroussky et de son Ensemble Artaserse (fondé en 2002), et Caino, ovvero Il primo omicidio d’Alessandro Scarlatti marquait aussi les débuts du célèbre contre-ténor français en tant que chef d’orchestre – du moins dans une salle avec public.

Mais attardons-nous d’abord sur l’ouvrage, une révélation pour l'audience, au même titre que la brillante interprétation qui en a été faite. Lorsqu’en janvier 1707, Alessandro Scarlatti crée son oratorio à six voix sans chœur, il a momentanément délaissé Rome, capitale de la musique sacrée, pour une courte échappée vénitienne. Dans cette œuvre dont la vocalisation est édifiante – elle raconte le premier meurtre de l’humanité –, le rôle de Caïn est le plus important. Ce personnage est à la fois dedans et dehors : il exprime ses propres sentiments – ceux d’un meurtrier – mais possède sporadiquement une quasi-fonction de narrateur, lorsqu’il commente avec distance ses propres actes.
La forme musicale de l'ouvrage est simple, composée d'une exacte alternance de récitatifs et d’arie ou de duos, parfois interrompue par des sinfonie descriptives. L’expression musicale offre un étonnant alliage d’aspects naïfs et d’éléments savants construits et architecturés. Dans cet oratorio, le compositeur ne dissimule nullement son métier de créateur d’opéras. Il n’élude aucun dramatisme, mais le traite avec des moyens purement musicaux, même dans les sinfonie purement descriptives, sans solliciter aucun effet extérieur. Plus de 300 ans plus tard, comment ne pas être frappé par la puissance de sa musique, portée haut par les voix ? À ses chanteurs, il offre des occasions non pas de briller superficiellement, mais de mobiliser leurs meilleurs atouts techniques et expressifs. Pour un compositeur, si bien connaître la voix et le fonctionnement intime – organique et mental – du chanteur est digne d'éloges.

Philippe Jaroussky a réuni une fabuleuse équipe de chanteurs, même si sensiblement différente ce soir de celle qu’il avait assemblée lors de la captation vidéo réalisée un mois plus tôt à l’Opéra Comédie (actuellement diffusée sur la chaîne Mezzo), et qui affichait Christophe Dumaux en Caïn et Sandrine Piau en Eve. On retrouve ce soir le contre-ténor italien Filippo Mineccia dans le rôle du primo-meurtrier qui donne le frisson par son engagement physique exceptionnel autant que par sa voix au timbre particulièrement séduisant, la qualité de sa projection et son souci des nuances : comment ne pas être ébloui par un artiste maîtrisant si bien les affects les plus divers, de la furie criminelle à la bonté feinte, de la pitié profonde à la plus sincère désolation ?
Quelques jours après son triomphal récital parisien (à la Salle Gaveau), le sopraniste brésilien Bruno de Sà envoûte par sa voix angélique d’une absolue pureté, avec des messe di voce à se pâmer, des volutes aériennes ébouriffantes et un souffle infini qui lui ont valu un succès personnel au moment des saluts.
Le ténor croate Kresimir Spicer (Adam) possède un timbre naturel et un art expressif limpide, jamais maniéré, mais le registre supérieur n’est pas sans lui poser des problèmes de justesse. Il trouve en la soprano lettone Inga Kalna une Eve de haut vol, à la voix dense et veloutée à la fois, à la ligne de chant souveraine, dont la longue aria du II restera (pour nous) le moment le plus émouvant de la soirée.
De son côté, le jeune contre-ténor montpelliérain Paul-Antoine Bénos-Djian (Dieu) renouvelle l’enthousiasme suscité par son Rinaldo nantais il y a trois saisons, grâce à une voix d’une stupéfiante beauté et une technique hors-pair acquise notamment au CMBV de Versailles. Enfin, le baryton-basse Yannis François ne fait qu’une bouchée du rôle de Lucifer, qu’il incarne avec autant d’aplomb scénique que vocal, avec un registre grave mis particulièrement en valeur dans son menaçant dernier air.

Last but not least, la direction de Philippe Jaroussky est bien l’assise sans faille, virtuose et charnue, de la soirée. Il allie ici une totale compréhension musicale de ce chef d’œuvre de Scarlatti à une absolue connaissance de la vocalité, et l’on attend déjà avec beaucoup d'impaience sa prochaine incursion dans la direction d’orchestre : ce sera pour un très attendu Giulio Cesare de Haendel au Théâtre des Champs-Elysées la saison prochaine !

Emmanuel Andrieu

Caino ovvero Il primo omicidio d’Alessandro Scarlatti à l’Opéra Berlioz de Montpellier, le 25 mai 2021

Crédit photographique © Marc Ginot

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