Maria Pia Piscitelli, intense Norma à l'Opéra de Tel Aviv

Xl_norma © Yossi Zwecker

Norma de Vincenzo Bellini est un chef d’œuvre excessif, qui pousse le belcanto dramatique à un comble. Les deux rôles féminins qui dominent l’ouvrage sont parmi les plus difficiles du répertoire. Ils exigent à la fois un ton et une allure de tragédienne, un comportement et une expression romantiques, des voix dramatiques et agiles, étendues et fortes, la jeunesse et la noblesse… et une formidable endurance vocale, surtout lorsqu’on décide, comme c’est le cas ici à l’Israeli Opera de Tel Aviv, de restituer la version originale, car il n’y a pas de répit pour Norma et Adalgisa, pas de détente, pas de concession au plaisir de s’écouter chanter. Il y eut peu de grandes Norma depuis Pasta, la créatrice, on cite toujours Callas et Caballé, les modèles, et quelques grandes Adalgisa. Impressionnées par ces rôles terrifiants, les cantatrices attendent généralement la maturité pour les aborder.

Après avoir chanté le rôle sur des scènes aussi prestigieuses que l’Opéra de Rome, la Wiener Staatsoper ou le Teatro Colon de Buenos Aires, la magnifique soprano italienne Maria Pia Piscitelli – qui nous avait enthousiasmés dans Caterina Cornaro de Donizetti au Festival de Montpellier en juillet 2014 – confirme, à l’Israeli Opera, qu’elle est l'une des Norma majeures de notre temps. Car voilà une grande voix sombre et dramatique sur toute l’étendue du registre, capable de rendre justice aux pages où l’héroïne exprime sa fureur, comme à la fin du premier acte, ou lorsque, impériale, elle exhorte le peuple à la guerre sacrée au deuxième. Les passages de tendresse convainquent tout autant : la chanteuse parvient à plier ses grands moyens aux exigences des cantilènes infinies de Bellini, et à chanter piano, voire pianissimo, sans toutefois atteindre les sons filés d’une Caballé ou d’une Gencer. Quant aux vocalises, notamment celles de l’air « Ah bello a me ritorna », elles sont délivrées avec un naturel et une liberté des plus confondants. Bref, la Norma de Piscitelli est d’une très grande tenue, une Norma par ailleurs profondément féminine et fragile, si humaine et aimante, bien loin des harpies vociférantes que l’on a souvent eu l’occasion d'entendre.

Pour Daniela Barcellona initialement annoncée, la mezzo italienne Marina De Liso s’avère une remplaçante plus qu’à la hauteur dans le rôle d Adalgisa. Sa voix naturelle, à la fois chaude et plutôt claire, bien distincte cependant de celle du rôle-titre, a la fraîcheur qui convient à la jeune prêtresse. Malgré les difficultés vocales, dominées sans crispation, elle traduit avec nuances la subtile diversité des sentiments qui animent le personnage. Las, on tombe d’un cran - voire de deux - avec les hommes. Après avoir chanté plus de 60 rôles in loco, la basse russo-israélienne Vladimir Braun (Oroveso) devrait peut-être penser à prendre une retraite bien méritée, tandis que le ténor italien Piero Giulliaci impose, de son côté, un Pollione braillard et tout d’un bloc, incapable de la moindre nuance tant vocale que psychologique. Le Flavio de Guy Mannheim n’a ainsi pas de mal à lui voler la vedette, tandis que la mezzo israélienne Anat Czarny confère, grâce aux reflets sombres de sa voix, une belle présence à Clotilde.

Grand habitué de la fosse de l’Israeli Opera - autant que de l’ouvrage de Bellini -, le chef israélien Daniel Oren insuffle à la difficile partition du Maître de Catane une puissante théâtralité et un solide sens dramatique, et il obtient de l’Orchestre Symphonique d’Israël de séduisantes combinaisons de timbres. Un seul exemple suffira : l’introduction de « In mia man » que nous croyions connaître par cœur et à laquelle il a su donner un éclairage nouveau. Un mot également pour le Chœur de l’Israeli Opera qui se montre sous son meilleur jour, parfaitement préparé qu’il a été par son chef Ethan Schmeisser.

Enfin, confiée au metteur en scène italien Alberto Fassini, la production cherche avant tout à séduire les tenants d’une certaine tradition, avec une scénographie et des costumes d’« époque » facilement lisibles. Avec une contribution scénique aussi neutre - la direction d’acteurs est tout aussi discrète... -, le chant reprend tous ses droits et rien ne vient ici à aucun moment le contrarier. L’excès de symétrie, notamment celui de chœurs systématiquement placés en rang d’oignons, finit cependant par lasser, et entre en contradiction avec le bouillonnement plein de vie de la musique.

Emmanuel Andrieu

Norma de Vincenzo Bellini à l’Israeli Opera de Tel Aviv, jusqu’au 17 décembre 2016

Crédit photographique © Yossi Zwecker
 

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