L'Opéra de Saint-Etienne redécouvre Lancelot de Victorin Joncières

Xl_a._morel_et_t._bettinger_dans_lancelot___saint-etienne © Cyrille cauvet

Après Les Barbares de Saint-Saëns, Dante de Benjamin Godard ou encore Cendrillon de Nicolas Isouard (nous y étions), l’Opéra de Saint-Etienne poursuit sa fructueuse collaboration avec le Palazetto Bru Zane en proposant cette fois de ressusciter Lancelot de Victorin Joncières, créé au Palais Garnier en 1900 et jamais repris depuis. Un compositeur qui ne nous est pas inconnu, grâce toujours au PBZ qui avait édité dans sa luxueuse collection de livres-disques son opéra Dimitri (1876), déjà sous la battue de Hervé Niquet. La partition apparaît comme une sorte de synthèse de la musique française du XIXe siècle, avec ses emprunts au Grand Opéra (et son inévitable ballet) ainsi qu’aux ouvrages teintés de wagnérisme, avec une utilisation très fréquente des cuivres, notamment lors des ensembles. Le meilleur se trouve cependant du côté des duos, la plupart très inspirés.

Déjà signataire du Dante précité, Jean-Romain Vesperini a été retenu également pour mettre en images cet ouvrage inspiré du Roman de la Table Ronde, laquelle se retrouve au centre même de son dispositif scénique (conçu par Bruno de Lavenère), mais le plus souvent en position inclinée, ce qui se révèle parfois acrobatique pour les chanteurs. Tout autour se dressent des tentures représentant la quête du Graal, d’après des originaux du peintre préraphaélite Edward Burne-Jones. Cette scénographie plante le décor du Moyen-âge du livret, tandis que les visages des personnages sont tous maquillés de blanc, avec des cernes rouges autour des yeux : voilà pour le côté gothico-mystique de l’ouvrage. Enfin, les chorégraphies très classiques de Maxime Thomas permettent aux cinq danseuses-ondines de révéler toute la sensualité des songes de Lancelot, lors du troisième acte quasi entièrement dédié à cette pantomime intitulé « Le lac des Fées ».

Découvert sur cette même scène dans le personnage de Mario il y a déjà sept ans, Thomas Bettinger n’en finit pas de nous impressionner par la largeur de sa voix, qu’il sait cependant canaliser et moduler pour nous offrir des passages d’une suave tendresse, comme dans le premier duo (d’amour) avec Guinèvre. L’éclat des aigus convient par ailleurs parfaitement à son personnage de chevalier héroïque, et c'est un triomphe personnel légitime qu'il reçoit au moment des saluts. Il trouve en Anaïk Morel une Guinèvre à sa hauteur, au mezzo épanoui et chaleureux, à l’aigu franc et sonore, et aux graves charnus. La comédienne se montre également particulièrement crédible, épousant à la perfection toute l’évolution psychologique de son personnage. Seule voix « étrangère » de la production, le baryton polonais Tomasz Kumiega (Roi Arthus) ne possède pas autant d’atouts, et outre certains mots prononcés de manière « exotique », son registre aigu plafonne constamment dès qu’il est sollicité. Il incarne en revanche de manière très convaincante les affres de ce roi malheureux en amour, puisque Guinèvre lui préfère Lancelot ! En Elaine, fille du Comte Alain de Dinan et amoureuse éconduite de Lancelot, Olivia Doray nous gratifie de sa belle voix lyrique, à la ligne de chant très pure, tandis que son père est incarné par la basse Frédéric Caton, avec toute l’autorité vocale et l’humanité qu’on lui connaît. Dans le rôle de Markhoël, le traître jaloux de Lancelot (qu’il dénonce au Roi), le baryton Philippe Estèphe offre son timbre mordant et son émission idéalement belliqueuse, tandis que Camille Tresmontant n’appelle aucun reproche en Kadio. N'oublions pas, enfin, le bel investissement tant vocal que physique du Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire, particulièrement sollicité ici, et toujours aussi remarquablement préparé par Laurent Touche.

Bonheur également en fosse, avec un Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire aussi attentif qu‘enthousiaste. Ce n’est pas nouveau, Hervé Niquet s’impose indéniablement comme l’un des meilleurs serviteurs de ce répertoire, en restituant magnifiquement les combinaisons de timbres pour donner à l’orchestration de Victorin Joncières ses couleurs spécifiques. Mais sa direction, toute de souplesse ou de nervosité selon les passages, fait également ressortir les différentes influences repérables dans la partition. Bravo maestro !

Emmanuel Andrieu

Lancelot de Victorin Joncières à l’Opéra de Saint-Etienne (mai 2022)

Crédit photographique © Cyrille Cauvet

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