L'Italienne à Alger à l'Opéra Grand Avignon

Xl_italienne2 © Cédric Delestrade

Signataire d’une remarquable production du Voyage à Reims de Gioacchino Rossini - ici-même à l'Opéra Grand Avignon, en 2008 -, le jeune metteur en scène italien Nicola Berloffa revient dans la cité papale pour un autre ouvrage du Cygne de Pesaro, la drôlissime Italienne à Alger. Il y joue la carte d'une certaine fidélité au livret, en traitant l’ensemble à la manière d’une « turquerie », avec quelques clins d’œil appuyés au monde musulman d’aujourd’hui : pour leur air d’entrée, les eunuques apparaissent ainsi affublés de burkas et de lunettes noires, qui les cachent intégralement. Mais Isabella fait bientôt irruption dans l’univers du sérail (magnifique et imposant décor tripartite conçu par Rifail Ajdarpasic), avec ses atours parisiens des années folles (superbes costumes dessinés par Berloffa lui-même), et chamboule la douceur de vivre à l’orientale, le vinaigre (balsamique) supplantant très vite ici le loukoum !

L'excellent chef italien Roberto Rizzi-Brignoli – à la tête d'un Orchestre Régional Avignon-Provence fort bien sonnant – précipite les tempi, parfois jusqu'à la frénésie, apportant au spectacle une verve et une théâtralité appréciables ; sa direction s'avère une des grandes satisfactions de la soirée.

Quant à la distribution vocale, elle est dominée par l'éblouissante Isabella de la mezzo espagnole Silvia Tro Santafe, qui ravit par un art consommé du chant et de la scène, et renonce à forcer la voix, lui préférant la demi-teinte. Elle n'en éblouit pas moins dans les passages d'agilité, comme dans le rondo final « Qual piacer ! Fra pochi istanti », riche en variations hardies, et d'une incroyable virtuosité vocale. Son personnage reste toujours infiniment juste, musicalement et dramatiquement, mais la confrontation avec ses partenaires – dont un se montre insuffisant, l'autre franchement impossible – engendre un authentique déséquilibre.

Jeune ténor français sur la pente ascendante, Julien Dran ne convainc pas vraiment dans la rôle de Lindoro, le timbre manquant de noblesse - entaché qu'il est par de vilaines nasalités -, sans parler de l'aisance requise dans les vocalises, qu'il savonne allègrement ; le style belcantiste se situe pour l'instant hors de ses possibilités.

Elégant, plein d'esprit, sans aucun problème vocal, le Taddeo du superbe baryton argentin Armando Noguera (grand habitué de la maison provençale) dépasse de plusieurs têtes le catastrophique Mustafa de son confrère italien Donato Di Stefano, qui inflige à nos oreilles, la soirée durant, un malcanto absolu : voix fatiguée et sans projection, vocalises savonnées, justesse constamment prise en défaut, ligne de chant chaotique, on ne sait que déplorer le plus chez ce chanteur, et chacune de ses interventions nous a fait nous raidir dans notre siège. Des comprimari, l'on retiendra la prometteuse Clémence Tilquin (Elvira), tandis que le Haly de Giulio Mastrototaro déçoit, de son côté, à cause d'une émission mal contrôlée.

Une soirée en demi-teintes, comme on dit...

Emmanuel Andrieu

L'Italienne à Alger à l'Opéra Grand Avignon

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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