L'Enlèvement au sérail au Festival d'été d'Aix-en-Provence

Xl_serail © Pascal Victor

Avec cette nouvelle production de L'Enlèvement au sérail au Festival d'Aix-en-Provence, Mozart n'aura pas eu besoin de la vindicte d'un Salieri jaloux pour se faire assassiner ; les élucubrations du metteur en scène autrichien Martin Kusej – dont nous avions déjà détesté l'Idomeneo lyonnais cette saison -  y auront largement suffi cette fois. Il nous est difficile de rendre compte sans emportement du scandaleux traitement du chef d'œuvre de Mozart, mais que penser d'un Pacha Selim transformé en un mollah névrotique et sanguinaire et que dire des janissaires recyclés en membres de Daesh bardés de kalachnikov. Le plus grave c'est que pour plier un livret décidément rétif à pareille interprétation, le metteur en scène est intervenu sur la structure même de l'ouvrage, certains dialogues ayant été soit coupés, soit réécrits (souvent en anglais). L'on aura cependant évité le pire, car le spectacle devait se clore par la décapitation des quatre prisonniers, avant que Bernard Foccroule - directeur de la manifestation provençale - ne décide d'intervenir et de faire supprimer cette ultime scène, trop ancrée dans notre triste et douloureuse actualité...

L'interprétation vocale ne rachète que partiellement les errements scéniques. La soprano canadienne Jane Archibald bouleverse la conception qu'on peut avoir de Konstanze. Si la voix nous paraît trop légère pour le lyrisme du personnage, pour cette couleur dramatique qui devrait en dire la plainte et le désespoir, elle exprime néanmoins tout cela par les coloratures et les arabesques, dans les deux airs terrifiants où tant de sopranos se figent. Chez elle, au contraire, ces éléments de pyrotechnie sont construits sur la nuance, sur la couleur, sur la qualité d'émission, qui expriment les affects du personnage, la succession de ses troubles, de ses espérances, de ses dépits, de sa rage. Elle offre enfin l'image d'une femme plus que jamais décidée à résister aux avances du noble Pacha et à demeurer fidèle à son fiancé Belmonte. Ce dernier, hélas, est interprété par un Daniel Behle excessivement falot, en dépit d'un chant très sûr et d'une musicalité parfaite.

De son côté, la Blondchen de Rachele Gilmore ne s'élève jamais au dessus d'une honnête routine, alors que le Pedrillo de David Portillo affirme plus de personnalité dans son phrasé et dans son incarnation. La basse allemande Franz-Josef Selig crée le personnage le plus fort de la soirée : solitaire et aigri, son Osmin est véritablement poignant, car l'effet comique n'est jamais le but final de ses impressionnantes prouesses vocales. Enfin, dans le rôle de Selim Pacha, l'acteur autrichien Tobias Moretti répond à ce qui est attendu de lui dans cette conception scénique .

Quant à la partie orchestrale, le jeune chef français Jérémie Rohrer - dont nous dressions un portrait il y a peu dans ces colonnes - surprend par sa direction tantôt précipitée, tantôt lente à l'excès. La fourchette des tempi est ici étirée à l'envi, et malgré les sonorités moirées du Freiburger Barockorchester, l'ennui généré par la fosse plombe un peu plus la soirée.

Emmanuel Andrieu

L'Enlèvement au sérail de W. A. Mozart au Festival d'Aix-en-Provence, jusqu'au 21 juillet 2015

Crédit photographique ©  Pascal Victor

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