Le Miracle d'Héliane d'Erich Korngold à l'Opéra de Flandre : tout pour la musique !

Xl_heliane © Annemie Augustijns

Pour ouvrir sa nouvelle saison, l‘Opéra de Flandre remet en avant le rare Das Wunder der Heliane (Le Miracle d'Héliane) d’Erich Wolfgang Korngold avec une nouvelle production de David Bösch, grand fidèle de la maison flamande qui avait également signé, au printemps 2015 à l'Opéra de Lyon, une mémorable production des Stigmatisés de Franz Schreker, autre œuvre-phare de la musique qualifiée de « dégénérée » (Entartete musik) par le régime nazi. L’atmosphère ténébreuse et la scène recouverte de terre montrent le parti pris du metteur en scène allemand d’assombrir le quatrième opéra de Korngold, écrit à partir de 1923 sur un livret d’Hans Müller-Einingen d'après le mystère La Sainte d’Hans Kaltneker. Héliane n’est pas amoureuse de son souverain mari, mais d’un mystérieux étranger, injustement jeté en prison parce qu’il rendait le peuple joyeux (acte I). L’adultère n’est pas clairement exprimé, mais le fait qu’Heliane se déshabille devant l’étranger et revienne nue quand son mari s’entretient avec lui dans sa geôle la confond. Déjà condamné à mort, l’étranger n’a plus qu’à se tuer pour éviter qu’elle ne meure (acte II). Il réapparaît pourtant descendant du ciel pour récupérer sa bien-aimée, tout juste poignardée par son mari, et l’emmener avec lui au paradis (acte III). L’histoire quelque peu alambiquée n’est pas simple pour un metteur en scène, qui s’il veut éviter le versant réaliste doit alors jouer l’absurde, ou le fantastique. Bösch retient ce dernier choix, et opte pour une histoire de zombies en habillant le peuple de cette manière, conduit par leur chef, le mari d’Héliane, tandis qu’elle, en robe blanche comme une sainte, paraît humaine. De belles factures, le décor de Christof Hetzer et les lumières de Michael Bauer encadrent une direction d’acteur en manque d’inspiration. Dommage, car la musique est superbe !

Dès l’ouverture, la partition paraît tellement cinématographique que l’on se croirait presque dans un film d’Errol Flyn, acteur pour lequel Korngold composera de nombreux thèmes célèbres, lorsqu’il aura quitté l’Allemagne Nazie pour l’Amérique. Elle est surtout saturée de mélodies qui possède de nombreuses affinités avec La Femme sans ombre de Richard Strauss. La musique se cabre dans une exacerbation voluptueuse des timbres vocaux et instrumentaux, et plutôt que de se perdre dans les ramifications de petits motifs psychologiques, elle tend au vertige et à l'envoûtement sonore. Les modéles, Strauss et Pucccini, sont aisément identifiables, avec de surcroît, des affinités avec Respighi. Cette musique extraordinaire trouve une mise en place maîtresse à Gand avec le chef anglais Alexander Joel, dont la dynamique met en avant la mouvance et les ruptures de la partition grâce à un Orchestre Symphonique de l'Opéra de Flandre aussi puissant dans les moments noirs que dans les instants flamboyants. 

Sur scène, malgré la pénombre, la lumière sort de la gorge des chanteurs. L’atout-maître de la soirée est bien évidemment la soprano lituanienne Ausrine Stundyte - déjà encensée dans nos colonnes in loco dans Lady Macbeth de Mzensk (rôle-titre) ou encore Tannhäuser (rôle de Venus) - qui s'avère une nouvelle fois électrisante tant par le jeu que par le chant. Que dire de ce timbre sublime qui s’accorde parfaitement dans les graves aux passages sombres, et monte à l’aigu dans une superbe palette de couleurs dans les instants de grâce. Violente et imperturbable face à son mari, elle devient légère face à son amant, le ténor anglais Ian Storey, dont la voix faite pour Enée ou Tristan ne rencontre aucun problème avec la composition de Korngold, ni dans le médium ni dans un aigu puissant qui ne détimbre jamais. Le baryton islandais Tómas Tómasson n’a pas toujours les aigus requis, mais il possède un médium et des graves suffisament noirs pour arriver à ses fins, et martyriser le reste du monde, dont son peuple, porté par le fantastique Chœur de l'Opéra de Flandre, d’une incroyable chaleur au dernier acte. Les plus petits rôles ne sont pas en reste pour porter au triomphe cette soirée, à commencer par le portier d’une incomparable intensité dans les graves de Markus Suihkonen, et le Messager bien portant de la mezzo autrichienne Natascha Petrinsky.

Espérons que cet essai soit suivi d’autres productions de Korngold : Der Ring des Polykrates ou Violanta par exemple !

Emmanuel Andrieu

Le Miracle d'Héliane (Das Wunder der Heliane) d'Erich Wolgang Korngold à l'Opéra de Flandre, jusqu'au 10 octobre 2017

Crédit photographique © Annemie Augustijns

 

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